DONNEES ET ANALYSES

Rhône-Alpes : une région riche, mais des inégalités qui s’accentuent

INSEE

par Florence Léger, Anna Simon, Insee Rhône-Alpes

Lyon, France.DR

En 2011, Rhône-Alpes se situe au 3e rang des régions françaises en termes de revenu fiscal médian. Entre 2007 et 2011, les ressources des ménages ont augmenté moins vite, sous l’effet de la crise économique. En touchant surtout les plus modestes, celle-ci a contribué à creuser les inégalités. C’est au sein des grandes aires urbaines de la région que les revenus demeurent les plus élevés mais aussi les plus dispersés. Les habitants des agglomérations proches de la frontière franco-suisse telles que Annemasse, Thonon-les-Bains, Annecy, Cluses, Chambéry et Sallanches, déclarent des niveaux de ressources en forte croissance, et toujours parmi les plus élevés du pays. Comme celle de Paris, l’aire urbaine de Lyon présente un profil assez atypique pour la répartition spatiale des revenus avec une ville-centre plus riche que le halo de communes qui l’entoure.

La hausse des revenus ralentit, les inégalités s’accroissent

En 2011, la moitié des Rhônalpins vit dans un ménage qui déclare plus de 20 100 euros de revenus par unité de consommation (UC). Ce seuil, supérieur de 900 euros au revenu fiscal médian1 observé en France métropolitaine, situe Rhône-Alpes à la 3e place des régions françaises derrière l’Île-de-France et l’Alsace. Dans la région comme ailleurs, les difficultés économiques survenues en 2008 se ressentent à travers une évolution moins rapide des revenus. Le revenu médian progresse ainsi de + 3,6 % en euros constants sur la période 2007-2011, contre + 6,1 % entre 2003 et 2007. Parallèlement, la part des indemnités de chômage dans les ressources déclarées augmente, notamment entre 2008 et 2009. Les revenus continuent toutefois de croître plus rapidement en Rhône-Alpes qu’en France métropolitaine (+ 3,0 % après + 5,8 %). De fait, les ménages les plus modestes comme les plus aisés ont moins subi les effets de la crise dans la région, vraisemblablement en lien avec la meilleure résistance de l’emploi rhônalpin2 durant cette période. Par rapport à la période précédente (2003-2007) où il avait fortement progressé (+ 7,1 %), le revenu des Rhônalpins les plus modestes recule néanmoins légèrement (– 0,5 % pour le 1er décile), tandis que celui des plus aisés augmente significativement (+ 5,2 % pour le 9e décile). Les inégalités tendent donc à se creuser, même si elles restent plus contenues qu’à l’échelle nationale.

Figure 1 – En moyenne, une évolution des revenus plus favorable en Rhône-Alpes qu’en France – Population des ménages et distribution du revenu par unité de consommation dans les territoires de Rhône-Alpes
Répartition de la population en 2011 en % Revenu par unité de consommation Rapport interdéciles (D9/D1)
1er décile (D1) Médiane Dernier décile (D9)
2011 en € Évolution 2007-2011 en euros constants 2011 en € Évolution 2007-2011 en euros constants 2011 en € Évolution 2007-2011 en euros constants 2007 2011
Lecture : en 2011, dans les grands pôles urbains de Rhône-Alpes, les 10 % de ménages les plus modestes déclarent moins de 6 900 euros par unité de consommation (D1), à l’opposé des 10 % de ménages les plus aisés qui déclarent plus de 41 600 euros par unité de consommation, soit 6 fois plus (rapport interdéciles). Dans les grands pôles urbains, le revenu médian atteint 20 200 euros par unité de consommation, soit une augmentation de 2,9 % en euros constants entre 2007 et 2011.
Sources : Insee ; DGFIP, Revenus fiscaux localisés des ménages 2007 et 2011
Grandes aires urbaines (23 aires) 83,1 7 700 – 1,2 20 400 3,5 41 200 5,5 5,0 5,4
Grands pôles urbains 60,2 6 900 – 3,5 20 200 2,9 41 600 4,9 5,5 6,0
dont villes centres 22,3 7 800 – 2,4 20 800 3,1 42 200 5,4 5,0 5,4
dont banlieues 37,9 5 700 – 5,6 19 000 2,2 40 500 3,8 6,5 7,1
Couronnes des grands pôles urbains 22,9 9 900 4,3 21 100 5,0 40 400 7,2 4,0 4,1
Moyennes aires (9 aires) 2,3 7 900 0,5 18 700 2,6 34 600 1,5 4,4 4,4
Petites aires (34 aires) 3,3 7 400 – 1,6 18 200 3,3 33 800 3,8 4,4 4,6
Communes multipolarisées des grandes aires urbaines 5,1 8 700 3,9 18 900 4,7 34 000 4,2 3,9 3,9
Autres communes multipolarisées 3,2 8 700 4,1 18 600 4,5 33 500 4,3 3,9 3,9
Communes isolées hors influence des pôles 2,9 7 300 7,8 17 500 5,6 33 800 4,5 4,8 4,6
Région Rhône-Alpes 100,0 7 800 – 0,5 20 100 3,6 40 000 5,2 4,9 5,2
France métropolitaine /// 6 900 – 1,3 19 200 3,0 39 000 2,7 5,1 5,7

Une population plus aisée dans les grandes villes et leur périphérie

La géographie des revenus est très liée à celle des villes. De manière générale, les revenus sont plus élevés dans les grandes aires urbaines et les communes placées sous leur influence ; ils sont à l’inverse plus faibles dans les zones les plus éloignées des centres économiques. Ainsi, les habitants des grandes aires urbaines rhônalpines déclarent un revenu médian de 20 400 euros par UC en 2011, soit respectivement 1 700, 2 200 et 2 900 euros de plus que ceux résidant dans les moyennes aires, les petites aires et les communes échappant à l’influence des villes. Un rééquilibrage s’opère toutefois au profit de ces dernières (+ 5,6 % dans les communes isolées contre + 3,5 % dans les grandes aires urbaines). Ces zones n’abritent toutefois qu’une très faible part de la population rhônalpine. La très large majorité des habitants et des emplois (83 %) se concentre en effet dans les grands pôles urbains et leurs couronnes. Avec un revenu médian de 21 200 euros, l’aire urbaine grenobloise figure au 9e rang parmi les 200 plus grandes aires urbaines françaises, devançant celle de Lyon (20 600 euros, au 16e rang) et, bien plus nettement, celle de Saint-Étienne (18 200 euros, au 132e rang).

Des revenus hétérogènes au sein des grandes aires urbaines…

Les grandes aires urbaines ne constituent pas des espaces socialement homogènes. En leur sein, les habitants sont généralement plus aisés dans les couronnes périurbaines que dans les pôles urbains eux-mêmes. En Rhône-Alpes, le revenu médian atteint ainsi 21 100 euros dans les premières, contre 20 200 euros dans les seconds. L’écart est surtout manifeste pour les plus bas revenus : ceux-ci sont sensiblement plus élevés en grande périphérie que dans les pôles (+ 43 %). De la même façon, au sein des pôles urbains, la banlieueest très souvent plus riche que sa ville-centre. Sur ce point, Rhône-Alpes se singularise du reste de la France. Les habitants des centres urbains déclarent, dans leur ensemble, un revenu médian supérieur de + 9 % à ceux des banlieues. La région tire en fait uniquement cette particularité de sa capitale régionale, qui, en tant que commune, ne concentre qu’une faible part des habitants les plus pauvres de l’agglomération. Les deux autres principales aires rhônalpines que sont Grenoble et Saint-Étienne suivent le schéma plus classique de revenus croissants avec l’éloignement de la ville-centre.

… et de plus en plus dispersés, notamment en banlieue

Dans la région, les écarts de revenus s’amplifient dans les grandes aires urbaines, tandis qu’ils ont plutôt tendance à se stabiliser sur le reste du territoire. Les disparités se renforcent tout d’abord entre les pôles et leurs couronnes périurbaines. Ainsi, les revenus ont plus augmenté en périphérie des grandes agglomérations, et ce à tous les échelons de revenus (respectivement + 4,3 %, + 5,0 % et + 7,2 % pour le 1er décile, la médiane et le 9e décile). Cette évolution se justifie par les migrations résidentielles, nombreuses, de populations assez fortement qualifiées vers les espaces périurbains. À l’inverse, les revenus évoluent moins favorablement dans les pôles urbains et la dispersion s’accentue. Les habitants les plus favorisés (9e décile) voient leurs revenus progresser de + 4,9 % entre 2007 et 2011, tandis qu’à l’autre extrémité de l’échelle sociale, les plus modestes déclarent des ressources en baisse de – 3,5 % sur la période (1er décile). Le rapport entre ces deux seuils de revenus (rapport interdéciles), qui donne une mesure globale des écarts entre ménages les plus aisés et les plus modestes, s’accroît donc fortement.

Au sein des pôles, les banlieues sont le siège de contrastes sociaux importants, en lien avec la forte hétérogénéité des populations qui y résident. L’évolution des revenus au cours de la période récente ne fait d’ailleurs que renforcer ces disparités. En 2011, dans les communes de banlieue rhônalpines, l’éventail des revenus entre les 10 % les plus aisés et les 10 % les plus modestes s’établit dans un rapport de 7,1 contre 6,5 en 2007. Cet écart reflète, dans une certaine mesure, la diversité de la banlieue lyonnaise, composée de communes riches et de communes plus défavorisées dont certaines abritent des quartiers, parfois fortement peuplés, ciblés par la politique de la ville. Celle-ci a d’ailleurs évolué pour capter cette réalité urbaine : la nouvelle carte des quartiers prioritaires s’est appuyée sur l’analyse des bas revenus fiscaux selon une maille géographique (le carreau) permettant d’appréhender plus finement les concentrations urbaines de pauvreté à travers le territoire.

En Rhône-Alpes, les banlieues concentrent les populations en grande difficulté financière. Les habitants les plus pauvres y déclarent en effet un niveau de ressources inférieur de 20 % à celui des populations des banlieues de France métropolitaine (5 700 euros contre 7 100 euros). Ce constat est d’autant plus notable que, pour toutes les autres composantes du zonage territorial, les niveaux de revenus observés sont toujours plus favorables en Rhône-Alpes.

Les grandes agglomérations rhônalpines parmi les plus riches de France

Les grands pôles urbains rhônalpins se distinguent par leur haut niveau de revenus fiscaux : un tiers d’entre eux (8 sur 23) figurent parmi les 20 pôles urbains français les plus riches. À Lyon, Grenoble, Chambéry, Sallanches, Cluses, Annecy et dans le Genevois français3 en particulier, le revenu médian des habitants dépasse celui observé dans l’ensemble des grands pôles urbains français. Annemasse arrive en tête du palmarès national, avec un revenu médian supérieur de 38 % à celui de la population française. Les agglomérations savoyardes et hauts-savoyardes affichent une croissance des revenus très dynamique, soutenue par l’emploi4 et les salaires frontaliers, et les migrations résidentielles associées. Dans celles d’Annemasse et de Thonon-les-Bains, les habitants déclarent ainsi des revenus médians en hausse respectivement de + 17,1 % et + 8,6 % entre 2007 et 2011.

Ces agglomérations, notamment les deux dernières, distancent nettement les pôles urbains les moins “riches”, dont les revenus progressent plus lentement. Ces derniers sont souvent des territoires industriels frappés par la crise, caractérisés aussi par une sous-représentation de cadres, à l’image de Saint-Étienne (+ 1,5 %), Roanne ou Annonay. Plus épargnés par la hausse du chômage, les pôles économiques de Montbrison, Valence ou encore Aubenas, connaissent des évolutions proches de la moyenne nationale. Dans ces territoires, et plus particulièrement à Valence et Aubenas, la structure sociale de la population se déforme vers le haut, avec l’arrivée de cadres et de professions intermédiaires. Les deux principales métropoles régionales, Grenoble et Lyon, suivent quant à elles une trajectoire similaire (+ 2,2 %).

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Sources : Insee ; DGFiP, Revenus fiscaux localisés des ménages 2007 et 2011

L’exception lyonnaise : une ville-centre plus riche que sa banlieue

L’aire urbaine de Lyon rassemble plus de 2,2 millions de personnes (soit 36 % de la population rhônalpine), ce qui en fait la plus peuplée de France après celle de Paris. Au centre de ce vaste espace urbain, la commune de Lyon abrite près de 500 000 habitants. Sa banlieue en regroupe 1 095 000 et sa couronne 636 000. En matière de localisation des revenus, Lyon présente le même schéma atypique d’organisation spatiale que Paris : un centre urbain plus aisé que la couronne, elle-même plus aisée que la banlieue. Dans plus de 90 % des grandes aires urbaines françaises, les revenus sont à l’inverse plus faibles dans la ville-centre que dans sa périphérie, proche ou lointaine.

Au sein de l’aire urbaine, les habitants de Lyon déclarent un revenu médian de 21 700 euros, contre 20 400 euros pour ceux résidant dans les communes de banlieue. Avec la ville de Lyon, l’ouest et le nord de l’aire urbaine concentrent les plus forts revenus, dans une ceinture à distance du centre comprise entre 5 et 15 km. Les ménages aisés sont particulièrement nombreux dans les Monts d’Or et les coteaux situés au-dessus de la vallée de la Saône (où résidaient déjà les industriels soyeux et les chimistes du XIXe siècle), la zone vallonnée des Monts du Lyonnais, les communes qui bordent l’autoroute A6, ainsi que les coteaux dominants la vallée du Rhône au sud de Lyon. Le développement de l’emploi inhérent aux secteurs de la haute technologie, des services et des industries de pointe dans l’ouest lyonnais (Biomérieux, Boiron, pôle économique ouest du grand Lyon, Techlid) continue d’y favoriser l’installation de cadres ; c’est également le cas le long de l’autoroute A6 où les PME et les services aux entreprises associés drainent les populations aisées.

Figure 3 – Des revenus plus faibles en banlieue est et sud de Lyon

Figure 3 - Des revenus plus faibles en banlieue est et sud de Lyon

Sources : Insee ; DGFiP, Revenus fiscaux localisés des ménages 2007 et 2011

Les résidents d’un demi-arc de cercle à l’est de l’agglomération disposent de plus faibles ressources financières. Cette zone englobe des communes au passé industriel, limitrophes du centre de Lyon, qui sont aussi, pour certaines, celles des grands ensembles (Rillieux-la-Pape, Vaulx-en-Velin, Décines, Saint-Priest, Villeurbanne). Territoire à faibles revenus, il se prolonge au sud avec les communes du couloir de la chimie qui concentrent une forte population d’ouvriers et d’employés (Oullins, Feyzin, Irigny, Saint-Fons), ainsi que des communes en reconversion industrielle à l’extrémité sud de l’agglomération lyonnaise, situées au confluent du Gier et du Rhône (Givors, Grigny et Chasse-sur-Rhône). Cette configuration, avec une partie est ouvrière, a pris forme durant les trente glorieuses, à une période où le territoire de la capitale régionale, déjà largement urbanisé, n’offrait pas de réserves foncières suffisantes pour permettre l’implantation nouvelle de logements collectifs et d’entreprises.

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Au cœur de l’aire urbaine, la ville de Lyon constitue un espace plutôt ouvert socialement : tous les niveaux de revenus et toutes les catégories socioprofessionnelles y sont représentés sans que l’on observe de logique de relégation résidentielle des populations les plus modestes en dehors de la ville-centre. Cette mixité se traduit toutefois, à l’image de Marseille, par une partition sociale de l’espace résidentiel assez nette à l’échelle de “micro-quartiers”.

Encadré

Revenus Fiscaux Localisés

La source Revenus Fiscaux Localisés des ménages (RFL) est le résultat du rapprochement des fichiers de la taxe d’habitation et des déclarations de revenus. Leur appariement permet de reconstituer des ménages fiscaux et de calculer des revenus avant abattements, impôts et prestations sociales par unité de consommation.

Les revenus fiscaux localisés couvrent la totalité de la population résidant en France et sont localisés à la commune ainsi qu’à la parcelle cadastrale. Cela permet de calculer les indicateurs classiques d’analyse des revenus (médiane, déciles, indicateurs de concentration) à tous les niveaux géographiques habituels (communes, régions, zonages d’étude) mais aussi sur des carroyages faisant abstraction des limites administratives. On peut ainsi produire des cartes lissées sur des mailles carroyées très fines permettant à la fois de représenter de façon simplifiée les grandes tendances territoriales et de faire apparaître des effets très localisés. La carte (figure 3) utilise des carreaux de 200 m de côté.

La source RFL se distingue de celle sur les Revenus Disponibles Localisés (RDL), qui fournit des indicateurs régionaux et départementaux sur le revenu disponible (après impôts et prestations sociales) et permet des analyses sur les inégalités monétaires et la pauvreté.

Dans cette étude, le terme de revenu désigne le revenu fiscal déclaré par unité de consommation. Le revenu fiscal déclaré est la somme des ressources déclarées au fisc, avant abattement : il comprend les traitements et les salaires, les indemnités de chômage, les bénéfices, les retraites, les pensions, les revenus du patrimoine imposables. Les unités de consommation (UC) d’un ménage fiscal permettent de tenir compte des économies d’échelle résultant de la vie en groupe. Ainsi, le premier adulte compte pour 1 UC, les autres personnes de 14 ans ou plus pour 0,5 UC chacune, et les enfants de moins de 14 ans pour 0,3 UC chacun. Le ménage fiscal regroupe les foyers fiscaux répertoriés dans le même logement. Les étudiants qui déclarent leurs revenus avec leurs parents sont comptés dans le ménage des parents même s’ils occupent un logement indépendant. Les contribuables vivant en collectivité et les sans-abri sont exclus de la source.

Les déciles sont les valeurs qui partagent la population en dix parties de même effectif lorsque l’on trie celle-ci par revenu croissant : le 1er décile du revenu par UC correspond au revenu plafond des 10 % de personnes appartenant aux ménages les moins aisés. Le 9e décile correspond au revenu plancher des 10 % les plus aisés. La médiane du revenu par UC est la valeur qui sépare la population en deux groupes d’effectifs égaux.

 

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