GEOGRAPHIE HUMAINE

Kaliningrad : un « îlot russe »

REGARDS SUR L’EST

par Par Luc MAFFRE et Thomas MALBEC

 

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Depuis son annexion en 1945 par l’Union soviétique, la région de Kaliningrad se démarque par sa singularité au sein de la Russie. Après une intensive politique de colonisation sur un territoire historiquement non-russe, l’identité des habitants porte désormais à discussion, dans un contexte toujours changeant. 

 

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Sur fond d’ouverture récente à l’étranger, des études furent menées par de nombreux chercheurs sur cette «île russe» et sa géopolitique[1]. D’autres recherches ont porté sur la résurgence d’une gestion des passés teutonique, prussien et allemand du territoire. Il est aujourd’hui approprié de s’interroger sur les enjeux de la restauration d’un patrimoine volontairement enfoui par les instances soviétiques.

Cette résurgence du passé doit éclaircir les différentes zones d’ombre d’un passé riche et tumultueux. Cela ne va pas, cependant, sans une remise en cause de tout un pan de l’identité du Kaliningradien en tant que Russe, et provoque de nombreuses réflexions sur l’apparition d’une identité régionale inédite. En tentant de se développer sur une terre traditionnellement païenne puis teutonique, l’identité régionale doit ici jongler entre devoir de mémoire et nationalisme. Territoire le plus occidental de Russie, cette enclave (ou exclave[2]) d’environ 200km², située entre la Pologne et la Lituanie, a été le théâtre de nombreuses batailles. Sa position stratégique sur la mer Baltique fut continuellement objet de convoitise. Sous domination teutonique puis prussienne, ce territoire doit son développement économique à la Hanse[3]. Dans la ville de Königsberg, le rayonnement culturel allemand a attiré et produit de grands intellectuels au premier rang desquels figure Emmanuel Kant. Avec la défaite des Nazis en 1945, le rattachement du nord de la Prusse orientale à l’Union soviétique victorieuse est réalisé en tant que trophée de guerre et reconnu légalement par le traité de Potsdam. La région de Kaliningrad devient une oblast de la République socialiste fédérative soviétique de Russie.

La russification du passé

Le processus de russification connaît des étapes et ne peut être considéré comme linéaire. La ville de Königsberg est renommée Kaliningrad en 1946. Au sortir de la guerre, la région doit devenir un exemple de développement pour démontrer la supériorité soviétique sur le reste du monde. Les symboles germaniques sont gommés ou dissimulés et les populations germaniques sont expulsées, en majorité vers l’ouest, entre 1945 et 1950[4]. Une réinterprétation de l’histoire, avec le concours d’une puissante propagande, permet de légitimer une mémoire collective liée à cette terre. On affirme par exemple que les premiers Prussiens, par leurs origines baltes et leur langue, étaient très proches des Slaves et que ce territoire est donc, de facto, traditionnellement russe. Une deuxième période voit l’aboutissement des efforts de colonisation, avec une appropriation définitive du territoire de la part des habitants. Les colons qui ont leurs parents enterrés auprès d’eux et dont les enfant naissent et grandissent sur ce territoire, le perçoivent désormais comme le leur[5]. Le processus de destruction et de réinterprétation systématique du passé s’érode au fil du temps et prend fin symboliquement avec un événement marquant: la démolition des ruines du château royal de Königsberg en 1969. Celle-ci provoque une vague d’émotion au sein de la population qui prend conscience de l’importance de préserver les vestiges de sa terre. Une nouvelle ère s’ouvre, qui annonce un questionnement identitaire profond à travers la découverte d’un patrimoine «caché». Le passé allemand fait dorénavant patrimoine.

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La restauration d’un patrimoine dévoyé

Les années 1970 et 1980 sont une ère de transformation et de sublimation. La brèche ouverte donne lieu à des initiatives privées pour restaurer le passé de la ville, et, dans une moindre mesure, de la région. La résurgence du passé entraîne des réactions diverses avec un dilemme à la clé: démolir ou conserver? Des groupes se forment et s’activent pour faire la lumière sur le passé teutonique et prussien de la région. Puis, dans les années 1990, avec l’effondrement du communisme, des Allemands profitent de l’ouverture pour retourner sur leurs anciennes terres. Cette émigration force la coopération entre deux visons contrastées de l’histoire, afin de sauvegarder un patrimoine en péril. Celle-ci ne durera qu’un certain temps, la brièveté de cette «romance» démontrant la grande difficulté à gérer des visions historiques divergentes.

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