DECORTIQUAGES

La France et les jeux vidéo : des précurseurs, des échecs et des réussites mondiales

SENAT

RAPPORT DE  André GATTOLIN et Bruno RETAILLEAU

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1. Une histoire industrielle alternant phases de développement intense et crises récurrentes

Parmi les tout premiers pays à développer des jeux vidéo, la France a connu une évolution « en dents de scie » dans ce secteur, de phases d’expansion en crises chroniques, jusqu’à une période actuelle « à deux vitesses » selon la taille des acteurs considérés.

a) La« préhistoire » des jeux vidéo : des entrepreneurs français précurseurs

Pays de consommation de jeux vidéo, la France a également toujours été un territoire de production. Elle a même figuré parmi les pays précurseurs sur ce marché, dans les années 70, durant lesquelles elle a commercialisé ses premiers jeux vidéo. Le marché reposait jusqu’alors essentiellement sur l’importation ou la production sous licence de produits américains.

Les années 80 ont vu la notoriété des jeux français s’accroître, certains connaissant un véritable succès international. Est alors né un embryon d’industrie territorialisée, bénéficiant de l’engouement croissant de la population pour la micro-informatique. Créé en 1986, Ubisoft commence à s’internationaliser en 1989 en ouvrant des filiales de commercialisation en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Pour autant, l’édition française de jeux vidéo reste due, « dans sa quasi-totalité, à des hobbyistes passionnés qui s’étaient investis dans un secteur neuf auxquels ils croyaient, et qui ont appris leur métier d’éditeur sur le tas »

b) Les années 1990-2000 : un âge d’or traversé par des crises récurrentes

Les années 90, marquées par l’industrialisation de la phase de développement, ont connu« l’âge d’or » du jeu vidéo français. En 1991, le chiffre d’affaires du secteur représentait déjà le quart de celui du jouet dans son ensemble, tandis que la vente de consoles décuplait en trois ans. Le début de la décennie marquait donc le commencement de l’expansion du marché du jeu vidéo dans notre pays ; en 1992, il se hissait au troisième rang mondial en termes de chiffre d’affaires.

Durant cette décennie, la domination de la filière, quoique assurée par les grands consoliers mondiaux que sont Sega et Nintendo, puis Nintendo et Sony, auquel s’ajoutera Microsoft au cours de la décennie suivante, sera contestée par degrands éditeurs indépendants déjà solidement implantés sur le marché libre des ordinateurs personnels (PC). Parmi eux, le français Ubisoft, aux côtés des américains Electronics Arts et Blizzard.

L’industrie française est alors tournée vers l’international, notamment vers le monde anglo-saxon, et sa croissance est externe. C’est ainsi qu’en 1998, Havas fait l’acquisition de Blizzard et de Sierra (aujourd’hui Vivendi Universal Games).

Des genres spécifiques, tels que le« survival horror », sont alors créés par des studios français. Le jeu Alone in the dark, édité par Infogrames, se classe dans les 20 meilleures ventes de la première moitié de la décennie 90.

L’explosion de la bulle Internet, au début des années 2000, a marqué la fin de l’âge d’or du jeu vidéo pour nos entreprises. Assimilé sur les marchés financiers à la « nouvelle économie » du début du millénaire, le secteur a ainsi vu la valeur boursière de ses principales sociétés s’écrouler.

La faillite de Kalisto début 2002, suivie de celles du groupe Cryo et de sa filiale Cryo Networks, et les difficultés rencontrées par Infogrames ne représentent que la« partie émergée de l’iceberg », toutes les entreprises françaises du secteur étant alors à l’agonie. En deux ans, se produisent autant de dépôts de bilan que dans la décennie précédente, et la moitié des 15 000 emplois que compte alors la filière sont supprimés. Un rapport publié au début du millénaire )souligne que « le segment de la création, qui fait la force de l’industrie française, est en concurrence brutale avec de nouveaux studios étrangers (Chine, Inde, Russie, République tchèque…) ».

S’en suit une reprise d’activité intense de 2002 à 2007, des sociétés comme Ubisoft atteignant le record de leur valeur boursière à l’été 2007. La crise, dite des« subprimes », provoque cependant la stagnation, puis une baisse extrêmement forte de la valeur de ces sociétés, à l’instar de l’ensemble des valeurs cotées.

En effet, la crise de 2008 n’est pas propre au modèle français ni au secteur des jeux vidéo en tant que tels, mais relève d’un phénomène macro-économique beaucoup plus large. Le secteur connaît même alors une situation relativement satisfaisante, comparativement du moins à d’autres comme le livre ou le disque, certaines de ses composantes (jeux sur téléphones portables, sur tablette, en ligne, etc.) étant même en croissance.

c) La période actuelle : entre faillites en chaîne et réussites mondiales

Depuis le début de la décennie 2010, l’industrie française du jeu vidéo connaît une évolution à deux vitesses.

Si l’ensemble de la filière connaît unesituation extrêmement tendue, les petites maisons d’édition sont tout particulièrement fragilisées.

En 2011, c’est une véritable hécatombe parmi lespetits studios : disparaissent ainsi, entre autres, Darkworks, Tekneo, Beyond the Pillars, Load Inc, Mad Monkey Studio (SC2X), Mindscape, Punchers Impact, Zallag…

Les difficultés du secteur touchent également les magazines spécialisés. Au mois de novembre 2012, l’éditeur de presse M.E.R 7, qui publiait des titres commeJeux Video magazine, PC Jeux, Console + et Joystick, est placé en liquidation judiciaire, marquant le transfert de cette activité vers des supports dématérialisés.

L’aval de la filière souffre tout autant que l’amont. Au tout début de l’année 2013, le distributeurde jeux vidéo Game, qui emploie 750 salariés et totalise 200 boutiques, dépose le bilan, après avoir été placé en redressement judiciaire en septembre 2012. Cette faillite pose plus largement, elle aussi, la question de l’avenir de la distribution physique à l’heure où l’offre dématérialisée n’a jamais été aussi présente.

L’année 2013 s’annonce également difficile pour les éditeurs de jeux vidéo. Selon Julien Villedieu, délégué général du SNJV, quinze entreprises françaises ont déposé le bilan durant le premier trimestre de l’année, soit un peu plus d’une par semaine.

Après quarante ans d’existence, l’entreprise Atari, pionnière outre-Atlantique dans l’industrie du jeu vidéo, avant son rachat en 2001 par la société française Infogrames, se déclare officiellement en faillite, ses filiales américaines étant placées sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites et du Livre VI du code des sociétés en France. En mars 2013, c’est au tour du studio de développement WizarBox d’être placé en liquidation judiciaire, tout comme l’éditeur Nobilis.

En dépit de cette conjoncture morose pour le« gros du peloton » des éditeurs français, les « poids lourds » du secteur conservent des résultats relativement satisfaisants. Alors que la France représente seulement 5 % à 7 % du marché mondial des jeux vidéo, avec un chiffre d’affaires de 2,7 milliards d’euros en 2011, elle est le deuxième producteur en volume derrière les États-Unis. Le secteur emploie directement 5 000 personnes dans 250 entreprises, dont un tiers déclarent un chiffre d’affaires supérieur à un million d’euros.

Ubisoft, Gameloft ou encore Activision-Blizzard, détenu jusqu’à l’été 2013 à 66 % par Vivendi, constituent aujourd’hui des « géants » nationaux du secteur, mais figurent également parmi les plus grands éditeurs européens et mondiaux. Activision-Blizzard et Ubisoft, font partie des cinq premiers éditeurs de jeux vidéo de la planète. Le premier a édité le célèbre jeu de guerre Call of Duty, dont le dernier volet, Black Ops, est numéro un des ventes en France et aux États-Unis début 2013. Le deuxième a produit Just Dance et Rayman Origins, qui se sont vendus à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires en quelques mois. Enfin, Dishonored, produit par Arkane Studios, a battu des records de vente lors de sa sortie en octobre 2012.

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2. Une industrie aujourd’hui confrontée à d’importants défis

Si l’industrie française du jeu vidéo reste globalement parmi les toutes meilleures au monde, elle affronte aujourd’hui d’importants obstacles annonçant des changements de paradigmes dans l’économie du secteur.

a) La fin du modèle du « hit AAA »

Notre pays, comme toutes les autres grandes nations du jeu vidéo, fait face à un essoufflement du modèle d’affaire ayant dominé le secteur de 1990 à 2007, le modèle du « hit AAA ». Basé sur une économie du risque, il repose sur le succès de quelques jeux ambitieux, au coût de production substantiel, destinés à être en tête des ventes dès leur sortie et à rapporter des bénéfices conséquents pouvant financer plusieurs échecs passés ou à venir :« un très petit nombre de très gros succès, un petit nombre de succès moyens, un grand nombre d’échecs »19(*).

Ce modèle, qui ne fonctionne que pour un petit nombre d’entreprises présentant une taille critique suffisante, aptes à financer des équipes de production elles-mêmes très étoffées, est désormais en crise, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, les coûts de production, c’est-à-dire de développement et de promotion, ont cru de façon déraisonnable jusqu’à rendre la prise de risque maximale et le taux de retour sur investissement minimal. L’apparition de hits non rentables n’est pas compatible avec un modèle reposant sur le financement d’un grand nombre d’échecs par de rares succès. Les marges dégagées par ces derniers, en outre, se sont réduites du fait d’un envol des charges de production.

Ensuite, la créativité et le renouvellement de l’offre se sont taris, et avec eux l’incitation des consommateurs à investir dans de nouveaux titres. En 2008, pour la première fois, les dix premières places du classement des jeux vidéo ont été occupées par des suites – ou« sequels » – de titres déjà existants. Cette relative stérilité du monde de l’édition ne pose pas de problèmes aux passionnés de jeux vidéo, qui continuent d’attendre avec impatience le dernier opus de tel ou telhit. Mais elle empêche un élargissement du public, qui a été constaté au cours des années 2000 grâce à d’autres secteurs que celui des jeux « AAA » (jeu en ligne, jeu occasionnel, etc.).

En outre, le matériel n’a pas suivi les progrès réalisés par les jeux. Alors que chaque nouvelle génération de console, de 1974 à 2000, engendrait un véritable « saut qualitatif », les derniers modèles – Xbox 360 et PS3 – n’ont pas apporté d’améliorations d’ampleur par rapport aux précédents aux yeux de leurs utilisateurs, de même que les gammes actuelles de PC. Dès lors, s’est tarie l’incitation qu’avaient nombre de joueurs à renouveler leur hardware pour profiter au mieux des derniers jeux édités.

Enfin, la maîtrise des lieux de distribution s’est avérée plus difficile pour les éditeurs. Contrairement au cinéma où, dans la période faste des studios, qui appartenaient aux majors, la rentabilité des salles compensait le coût croissant des films, l’aval du secteur des jeux vidéo est resté entre les mains d’acteurs indépendants des grandes maisons d’édition : grandes surfaces généralistes ou dédiées (Darty, Toys’ R’ Us …), ou spécialistes des produits culturels (Fnac, Virgin …).

b) La menace des délocalisations

L’industrie française du jeu vidéo est aujourd’hui directement menacée par une « fuite des cerveaux » (brain drain) dans des pays concurrents dans le secteur de l’édition. En quelques années, son nombre d’emplois a été divisé par deux, passant de 10 000 à 5 000, là où un pays comme leCanada a réussi à faire passer de 500 à 15 000 les effectifs de son industrie vidéoludique grâce à une politique fiscale attrayante pour les acteurs du secteur, à laquelle s’ajoutent une prime à l’embauche et des exemptions de charges patronales, ainsi que des mesures de soutien personnelles (exonération d’impôts, aides immobilières, etc.).

Beaucoup d’éditeurs français ont ainsi décidé de quitter le territoire et de s’installer à l’étranger, et en premier lieu au Canada qui, en plus d’un environnement économique et fiscal très intéressant, offre une proximité linguistique aux francophones. Ubisoft, un desleaders du secteur, compte par exemple 1 200 salariés en France, mais près de 3 000 en Amérique du Nord.

Les régimes d’imposition et de subvention proposés par les pouvoirs publics sont déterminants dans la décision des acteurs de demeurer sur le sol français ou de se délocaliser. À cet égard, notre dispositif de soutien spécifique au secteur à travers le crédit d’impôt jeu vidéo (CIJV) peut à lui seul« faire la différence » pour les éditeurs. Arrivé à expiration en décembre 2011, sa pérennisation avait été contestée par les instances européennes, ce qui avait aussitôt entraîné des menaces de délocalisation de « champions nationaux », avant finalement d’être reconduit.

Ainsi que s’en expliquait Guillaume de Fondaumière, co-directeur de Quantic Dream, en mars 201220(*) : le CIJV « correspond à près de 3 millions d’euros par projet, sachant que le coût de production d’un titre est de l’ordre de 20 millions d’euros. C’est considérable pour une entreprise de notre taille. Si nous ne pouvions pas en bénéficier, ce serait autant de manque à gagner, et nous serions obligés d’aller dans un pays plus fiscalement clément ».

Devant ce danger grandissant, les pouvoirs publics ont fini par réagir. En 2012 a été signée une charte export du jeu vidéo entre le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et le précédent gouvernement. Ce plan visait à soutenir la vente à l’international de la production française, sous l’action concertée et coordonnée des différentes administrations intéressées – ministères des affaires étrangères, de la culture et de la communication, de l’industrie, du commerce extérieur -, des opérateurs publics – Institut français, CNC, Ubifrance, OSÉO, Coface, etc. – et des entreprises. Les actions menées sous cette bannière ont été fédérées sous une nouvelle marque créée pour l’occasion. Baptisée Le Game, elle a été déployée pour la première fois dans le cadre de la Game Developers Conference, qui s’est tenu à San Francisco du 5 au 9 mars 2012.

Le Gouvernement actuel semble également avoir pris conscience de ces risques de délocalisation. L’un des objectifs dugroupe de travail mis en place début avril par Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, et Fleur Pellerin, ministre déléguée à l’économie numérique, consiste en effet à garantir l’innovation et la compétitivité des entreprises de jeux, ainsi qu’à rendre le territoire français attractif pour les acteurs étrangers.

c) Une concurrence extrêmement forte à l’échelle mondiale

En matière de jeux vidéo, comme plus généralement dans le secteur du numérique, la concurrence est particulièrement vive et les hiérarchies se modifient très rapidement : des pays il y a peu absents de la scène mondiale peuvent y tenir une place prépondérante en quelques années seulement.

Le marché est aujourd’hui totalement mondialisé, au sens où sa production et sa consommation sont réparties de façon relativement équilibrée entre trois grandes zones géographiques : les États-Unis, l’Europe et le Japon. Une telle pondération induit naturellement une compétition acharnée entre ces différents pôles pour capter un marché particulièrement séduisant : ses revenus (53,3 milliards de dollars en 2012) ont dépassé depuis une demi-douzaine d’années déjà ceux du cinéma et de l’industrie musicale, et sa croissance devrait revenir à deux chiffres en 2013 et 2014.

Cette orientation favorable de la demande incite les développeurs et les éditeurs à multiplier l’offre, du moins sur les supports en croissance : pour n’évoquer que les jeux en ligne, 400 nouveaux jeux et applications sont ainsi mis en ligne chaque jour sur IOS.

Dans ce contexte extrêmement concurrentiel, la France, qui occupait la première place au début de la décennie 2000 et était encore en 2010 le deuxième pays de production occidental de jeux mobiles et sociaux derrière les États-Unis, a vu depuis ses positions s’éroder. Si notre pays brille sur des créneaux nouveaux et en forte croissance comme les jeux sociaux et les jeux sur téléphone mobile, il a vu l’essentiel du marché (les jeux sur console), lui échapper en grande partie.

L’Allemagne, marginale sur le marché mondial des jeux vidéo au début du millénaire, est aujourd’huileader dans le domaine des jeux web et sociaux, tandis que la Grande-Bretagne excelle dans le domaine des jeux sur console.

L’international reste toutefois un marché naturel et obligatoire pour notre pays, puisque la France, qui ne représente que 5 à 7 % du marché global, destine plus de 80 % de ses créations à l’exportation.

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3. Des tentatives de soutien public

L’action des pouvoirs publics en faveur de l’industrie des jeux vidéo a lieu essentiellement à travers un fonds spécialisé et un dispositif fiscal dédié. Mais des mesures plus transversales profitent également, dans une moindre mesure, au secteur.

a) Le Fonds d’aide aux jeux vidéo

Créé en 1989, le Fonds d’aide à l’édition multimédia (FAEM), cofinancé par le ministère en charge de l’industrie et le CNC, accompagnait à l’origine les sociétés françaises spécialisées dans la création d’un catalogue original de titres interactifs. Il a été orienté dès 2003 sur le soutien aux jeux vidéo, en particulier sur les projets innovants sur le plan de la conception graphique et du design.

Rebaptisé fonds d’aide aux jeux vidéo (FAJV) en 2008, il est alors exclusivement dédié aux jeux vidéo.Cofinancé par le ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et le CNC, il est géré par ce dernier et doté de trois millions d’euros en moyenne chaque année.

Les projets déposés par les professionnels sont examinés par une commission constituée par le CNC et composée d’experts, qui statue sur l’attribution ou non des aides par son président. Les projets éligibles doivent répondre à plusieurs critères d’appréciation, notamment le fait de ne pas être financés majoritairement par des fonds publics.

Trois types d’aides différentes sont prévus :

– l’aide à la pré-production. C’est une avance remboursable plafonnée à 35 % des dépenses de recherche et développement (R&D). Elle porte sur l’ensemble des dépenses de pré-production du jeu jusqu’à la réalisation d’un prototype non commercialisable. L’entreprise dispose de douze mois à compter de la signature de la convention qui lui accorde l’aide pour réaliser son prototype et de trente mois à compter de cette même date pour signer un contrat d’édition. Si elle ne parvient pas à contractualiser dans ce délai, elle peut demander une exonération de remboursement au directeur général du CNC, dans la limite de 85 % du montant de l’aide ;

– l’aide à la maquette. C’est une subvention plafonnée à 50 % du coût du projet et devant être comprise dans une fourchette de 4 000 à 20 000 euros par projet ;

– l’aide aux opérations à caractère collectif. Elle est constituée d’une subvention plafonnée à 50 % du budget de l’opération.

Au cours de la période 2003-2011, le fonds a accompagné deux cents projets de jeux, développés par cent studios de création. Les aides octroyées représentent un montant total de 23,6 millions d’euros, couvrant 29 % du total des devis. Elles sont très peu concentrées, puisque 12 % seulement des entreprises ayant bénéficié d’un soutien à la pré-production ont été accompagnées sur plus de quatre projets.

En 2012, cent dix-sept projets ont été examinés par le CNC, cinquante retenus et trois millions d’aides octroyées au titre du FAJV. 80 % l’ont été sous forme de subventions, ce qui correspond bien aux modes de jeux les plus innovants (tablette, smartphone…).

b) Le crédit d’impôt jeux vidéo

Instauré par la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur complétée par un décret du 7 novembre 200721(*), le crédit d’impôt jeux vidéo (CIJV) conforte la productivité des entreprises réalisant et produisant des jeux vidéo.

La Commission européenne l’a autorisé à la fin de cette même année 2007, avant de renouveler cette autorisation pour six années supplémentaires le 25 avril 2012, en concluant que son régime, qui respecte la législation européenne relative aux aides d’État, oriente la production de jeux vidéo vers la production de projets à contenu culturel.

Peuvent y prétendre les entreprises assurant la réalisation artistique et technique de jeux ayant fait l’objet d’un agrément de la part du CNC, et ayant initié et engagé les dépenses nécessaires à leur création. Sont éligibles les dépenses affectées directement à la création de ces jeux, effectuées en France où dans un État membre de la Communauté européenne, qui peuvent être déduites à hauteur de 20 % de l’impôt dû pour la production desdits jeux dans la limite de 3 millions d’euros par exercice.

Trois dispositifs sont proposés : une aide à la préproduction de jeux vidéo ; une aide à la maquette pour les projets de jeux vidéo aux contenus éditoriaux innovants, sur tous supports ; et un soutien transversal pour des opérations collectives de type colloques ou journées d’étude.

Le « cahier des charges » de ce dispositif est relativement strict : les jeux doivent avoir un coût de développement supérieur ou égal à 150 000 euros ; ils doivent être destinés à une commercialisation effective auprès du public ; ils doivent être réalisés principalement avec le concours d’auteurs et de collaborateurs de création qui soient français, ressortissants d’un autre État membre de l’Union ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale ; ils doivent contribuer au développement de la création française et européenne en matière de jeux vidéo ainsi qu’à sa diversité en se distinguant notamment par la qualité, l’originalité ou le caractère innovant du concept et le niveau des dépenses artistiques ; enfin, ils ne doivent pas comporter de séquences à caractère pornographique ou de très grande violence.

Sur la période 2008-2011, 95 dossiers ont été agréés sur 211 demandes. Le coût total de production des projets de jeux ayant reçu un agrément provisoire d’élève à 333,7 millions d’euros. Près de 50 % de ces projets présentaient des budgets supérieurs à 5 millions d’euros. Ils concernaient des jeux développés pour consoles Wii ou DS (30 %), Xbox 360(20 %) e PS3 (18 %), ainsi que des jeux pour PC (27,3 %).

c) Les dispositifs d’aide plus généralistes

D’autres dispositifs fiscaux, qui ne concernent pas spécifiquement les jeux vidéo, lui sont cependant applicables.

· Le crédit d’impôt recherche et le crédit d’impôt innovation

Réduction d’impôt (sur le revenu ou sur les sociétés) calculée en fonction des dépenses de R&D déclarées par les entreprises, le crédit d’impôt recherche s’élève à 30 % de ces dépenses dans une première tranche jusqu’à 100 millions d’euros, puis 5 % au-delà.

L’entreprise entrant pour la première fois dans le dispositif bénéficie, sous certaines conditions, d’un taux majoré de 40 % la première année, puis de 35 % la deuxième année. Les entreprises du secteur des jeux vidéo peuvent potentiellement en bénéficier car elles donnent lieu à d’importantes activités de R&D dans les phases de pré-production.

Au crédit d’impôt recherche« classique » s’ajoute, depuis cette année, le« crédit d’impôt innovation ». Créé par la loi de finances pour 2013, il est calculé sur les dépenses (de personnel, d’achat d’immobilisations, de prise de brevets ou dépôt de dessin) engagées par les PME en vue de la « conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits ».

Son taux est de 20% des dépenses engagées par les entreprises concernées, ces dépenses étant plafonnées à 400 000 euros ; il ne peut donc pas excéder 80 000 euros. Il est parfaitement susceptible de bénéficier aux studios de jeux vidéo, dont les dépenses d’innovation peuvent être substantielles.

· Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

En vigueur depuis le 1er janvier 2013, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est un avantage fiscal consenti à des entreprises employant des salariés soumises à un régime réel d’imposition (ce qui exclut les micro-entreprises et les auto-entrepreneurs), quels que soient leur forme et le régime d’imposition de leur résultat (impôt sur le revenu ou impôt sur les sociétés).

Il équivaut à une baisse de leurs charges sociales. L’assiette de ce crédit d’impôt est constituée par les rémunérations brutes soumises aux cotisations sociales, versées par les entreprises dans la limite de 2,5 fois le Smic. Son taux est de 4 % pour les rémunérations versées au titre de 2013 et 6 % pour les rémunérations versées les années suivantes.

· Le dispositif « jeunes entreprises innovantes »

Les entreprises réalisant des projets de R&D et placées sous le régime de la « jeune entreprise innovante » (JEI) peuvent bénéficier d’uneréduction de leur fiscalité et des charges sociales relatives à des emplois hautement qualifiés tels que les ingénieurs et les chercheurs.

Pour bénéficier de ce statut, introduit en 2004, elles doivent avoir le statut de PME, avoir moins de huit ans d’existence, réaliser des dépenses de recherche représentant au moins 15 % des charges fiscalement déductibles au titre d’un exercice et être indépendantes du point de vue de la détention du capital.

Un certain nombre d’avantages sont reconnus aux entreprises respectant ces conditions :

– une exonération d’impôt sur les bénéfices et d’impôt forfaitaire annuel (IFA) ;

– une exonération d’impôt sur les plus-values de cession de titres pour les associés de la JEI ;

– un allègement des cotisations sociales patronales sur les salaires versés aux personnels participant à la recherche. Cet avantage a toutefois été drastiquement revu à la baisse en 2011.

· Les dispositifs du CNC

Certains dispositifs gérés par le CNC, autres que le FAJV et le CIJV, ne concernent pas directement ou spécifiquement le marché des jeux vidéo, mais établissent des passerelles entre médias traditionnels et nouveaux médias, et peuvent être mobilisés par les entreprises de ce secteur.

· L’aide aux projets pour les nouveaux médias

Créée en 2007 et dotée d’un budget annuel d’environ trois millions d’euros, cette mesure propose des aides sélectives à l’écriture et au développement pour les contenus multisupports ou destinés spécifiquement à Internet et aux écrans mobiles, ainsi que des aides sélectives à la production pour les contenus ayant la même destination.

Tous les univers créatifs y sont représentés, le jeu vidéo y côtoyant le cinéma, la télévision, les arts numériques, la musique, ou encore la bande dessinée. Plus de trois cents projets ont été accompagnés depuis sa mise en place, dont une centaine en production.

· Le réseau Recherche et développement en audiovisuel et multimédia (RIAM)

Créé en 2001, ce partenariat entre le CNC et OSÉO est doté d’un budget de quatre millions d’euros. Il a vocation à soutenir les projets d’innovation des entreprises dans les domaines de la production, du traitement, de la distribution et de la publication d’images et de sons, qui débouchent sur de nouveaux services ou produits. Ce dispositif a été spécifiquement conçu pour les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du multimedia et du jeu vidéo.

Deux volets d’aide sont proposés :

– l’aide à la faisabilitépermet d’explorer les obstacles (technologiques, juridiques, économiques …) dont la levée est un préalable à la mise en place d’un projet de R&D de plus grande envergure ;

– l’aide à la R&D finance le coeur du programme de R&D et aboutit soit à la commercialisation d’une nouvelle offre ou d’un nouveau produit, soit à une amélioration notable du processus de production interne.

Les projets retenus reçoivent un financement mixte sous la forme d’une part d’avances remboursables et d’autre part de subventions. OSÉO peut accorder une aide pouvant couvrir jusqu’à 60 % du devis retenu d’un programme.

d) Les aides européennes

Le jeu vidéo constitue la première industrie culturelle en Europe, et la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique) la plus importante au monde sur ce marché, avec près de 40 % du chiffre d’affaires réalisé. La Commission européenne en a consacré le caractère culturel dans une décision de 2007 relative aux aides d’État. À ce titre, il représente le secteur culturel le plus dynamique et avec le plus fort taux de croissance de toute l’industrie européenne des contenus.

Le financement de la production est un aspect essentiel du soutien que l’Europe peut apporter à cette filière, qui est au coeur des processus d’innovation de l’économie numérique. Or, l’Union européenne ne s’est pas investie dans ce secteur de façon suffisante, au regard des enjeux économiques, financiers et culturels.

L’appel à propositions EACEA 21/2009 pour le soutien à la réalisation d’oeuvres interactives, lancé en 2007 dans le cadre du programme MEDIA 2007, a été pensé pour le soutien de projets de productions destinées aux marchés européens et internationaux par des sociétés européennes indépendantes. Il représentait à ce titre une réelle opportunité pour la filière du jeu vidéo. Plus de 335 projets ont été proposés au soutien de cet appel sur le volet« oeuvres interactives ».

Or, les critères d’éligibilité ont été modifiés en 2009, de sorte que les productions de jeux vidéo n’y sont plus éligibles, à la différence des productions accompagnant ou complétant une oeuvre audiovisuelle préexistante (animation, documentaire, fiction). La nouvelle formulation prive les studios de développement du bénéfice de ce dispositif, désormais accessible aux seuls détenteurs de propriétés intellectuelles audiovisuelles.

Le futur programme MEDIA portera sur la période 2014-2020. Il importe qu’une part significative soit consacrée au soutien des oeuvres interactives, dont fait partie le jeu vidéo. Les entreprises françaises de la filière revendiquent qu’au moins 50 % de son budget soit affecté au soutien du secteur

Or, les orientations qu’il semble prendre paraissent aller dans la bonne voie. Le volet « médias » du programme« Europe créative » 2014-2020, prolongement du programme MEDIA 2007-2013, a fait l’objet d’une note de la direction générale des politiques internes du Parlement européen, à l’attention de la commission de la culture et de l’éducation. Plusieurs éléments de progrès sont ainsi mis en avant :

– le secteur des jeux vidéo sera explicitement inclus dans le secteur audiovisuel ;

– le nouvel instrument financier couvrira tous les secteurs de la culture et de la création, y compris les jeux vidéo ;

– le volet médias bénéficiera d’un budget en hausse de près de 30 %, à 998 millions d’euros.

La note mentionne que le programme MEDIA 2007« limitait ces dernières années l’éligibilité aux jeux qui étaient des adaptations de films ou de productions télévisuelles et réservait le budget alloué au soutien des « oeuvres interactives ». Elle souligne par ailleurs qu’il« convient d’interpréter la mention explicite des jeux vidéo dans le règlement relatif au programme « Europe créative » comme une reconnaissance du fait que les jeux vidéo sont des produits audiovisuels à prendre au sérieux ainsi que comme un engagement en faveur du soutien de cette branche hautement novatrice ».

Le secteur des jeux est présenté comme« l’un des plus prometteurs des secteurs de la culture et de la création européens et nécessitant un soutien public, surtout en ce qui concerne le stade hautement risqué de la conception de produits ». Ce secteur est perçu comme« extrêmement novateur » et présentant « un fort potentiel dans la mesure où il utilise toute la gamme des technologies numériques et atteint de vastes publics de jeunes ».

La Fédération européenne des développeurs de jeux vidéo (European games developer federation – EGDF) s’est certes félicitée de cette inclusion des jeux vidéo dans le programme MEDIA, mais elle a regretté que la proposition reste majoritairement centrée sur le cinéma. Elle a par ailleurs demandé que les mesures de soutien à ce dernier soient également ouvertes à d’autres oeuvres audiovisuelles, et notamment les jeux vidéo.

Il conviendra donc de suivre avec attention l’évolution de ce nouveau programme, et la place qu’il accorde au financement de l’industrie des jeux vidéo. La pénurie de ressources au niveau national fait du recours à ces fonds européens, aujourd’hui sous-utilisés par notre pays, un enjeu d’une particulière importance.

UN MODÈLE ÉCONOMIQUE À PART

. Au niveau économique

Le modèle économique du secteur des jeux vidéo ne ressemble à aucun autre, que ce soit celui du cinéma, de l’audiovisuel ou des communications électroniques. Entièrement globalisé et mettant en scène des acteurs extrêmement hétérogènes, il requiert des investissements colossaux pour la réalisation de produits phares dont un nombre très réduit sera susceptible de rapporter des bénéfices.

a) Un marché mondialisé et ultra-concurrentiel

Ainsi que le soulignait un article d’analyse économique de ParisTech Review il y a quelques mois, « le secteur des jeux vidéo offre un des rares exemples de marché hyperconcurrentiel ». Il y est fait état d’« univers instables hantés par le fantôme de Schumpeter, où la compétition est si vive et la visibilité si faible que les règles habituelles de l’économie industrielle ne s’appliquent plus ».

De nombreux facteurs, rappelés dans l’article, expliquent cet état de fait : la vitesse des changements technologiques, l’intensité de la concurrence, la faiblesse de la réglementation, la fragmentation des goûts des consommateurs… Ces éléments conduisent à une situation« marquée par un déséquilibre structurel, où un avantage concurrentiel ne dure jamais très longtemps et où une position dominante peut être un handicap ».

Le marché des jeux vidéo n’est pas encore stabilisé et se caractérise par une certaine forme d’exubérance créative, que la loi de l’offre et de la demande vient réguler sévèrement. Comme le note le cabinet de conseil Zalissont lancés chaque année, sur les plateformes consoles et PC, « environ 5 000 titres de jeux vidéo (…). Parmi ces 5 000 titres, seuls environ 200 permettront un retour sur investissement. Sur ces 200 titres, une vingtaine de titres seulement enrichira vraiment les éditeurs : ce sont les blockbusters ».

Excepté le continent africain, toutes les régions du monde se positionnent aujourd’hui sur un marché hyperconcurrentiel, mais appelé à croître dans les années à venir. Selon l’IDATE, s’élevant à 53,3 milliards d’euros en 2012, contre 51,1 milliards l’année précédente, il devrait enregistrer une croissance à deux chiffres en 2013 et 2014, grâce à la commercialisation des consoles de salon nouvelle génération.

b) Un secteur atomisé entre une myriade de petits acteurs et quelques poids lourds

Le secteur des jeux vidéo se caractérise par un grand dynamisme, allant de pair avec une dissémination de ses multiples acteurs, ainsi que l’a montré une étude réalisée en 2012 sur la structuration du secteur, dont sont issus les données et graphiques suivants.

Il comprend un grand nombre de petites entreprises réparties sur l’ensemble du territoire. 52 % d’entre elles seulement comptent plus de 10 salariés dans leur effectif.

EFFECTIFS DES ENTREPRISES DU SECTEUR DES JEUX VIDÉO

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Source : SNJV/Opcalia

Ces entreprises sont jeunes pour beaucoup, puisque 32 % ont moins de deux ans d’ancienneté, et 55 % moins de cinq ans d’existence.

ANCIENNETÉ DES ENTREPRISES DU SECTEUR DES JEUX VIDÉO

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Source : SNJV/Opcalia

À l’opposée, le secteur est structuré par quelques « poids lourds », entreprises de taille moyenne et intermédiaire déjà bien« assises », qui font l’image de la France à l’international. Ainsi, 33 % des entreprises déclarent un chiffre d’affaires supérieur à 1 million d’euros, 8 % étant même au-delà de 10 millions. Et 27 % des sociétés ont plus de dix ans d’ancienneté, dont 4 % ont même plus de quinze ans d’âge.

CHIFFRE D’AFFAIRES DES ENTREPRISES DU SECTEUR DES JEUX VIDÉO

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Source : SNJV/Opcalia

c) Des acteurs variés entretenant des relations complexes

Le lancement sur le marché d’un jeu vidéo comporte trois étapes, et autant de types d’acteurs différents : le développement ou la création du jeu, sa production-édition et enfin sa distribution27(*). Certains acteurs sont uniquement développeurs, d’autres sont développeurs-éditeurs et d’autres sont développeurs, éditeurs et distributeurs.

· La phase de création

La première étape est la création à proprement parler du jeu vidéo par des studios. Ceux-ci sont des entreprises de taille très variable, souvent des PME, soit indépendantes, soit intégrées à l’éditeur. Les équipes y travaillant font collaborer de nombreux corps de métiers ultra spécialisés et qualifiés :

– les concepteurs, ou game designers, chargés d’imaginer les concepts sur lesquels sont basés les jeux. Ils sont parfois assistés par des scénaristes, notamment quand l’univers en est complexe, comme dans les jeux de rôle ;

– les concepteurs de niveau, ou level designer, chargés de réaliser les niveaux de jeu en respectant les consignes globales définies par les game designers ;

– les infographistes 2D et 3D, les musiciens et les techniciens, qui assistent les concepteurs ;

– les programmeurs, chargés du développement global du jeu, qui interviennent sur le moteur du jeu, mais aussi sur des logiciels annexes ;

– les testeurs, qui s’inscrivent dans une démarche qualité ;

– les traducteurs, chargés de traduire non seulement les dialogues, mais aussi les inscriptions et les menus des jeux.

En outre, la complexification croissante des jeux a incité les développeurs à solliciter desprestataires intermédiaires spécialisés. Ces sous-traitants peuvent intervenir sur une partie du jeu (création sonore, graphique…) ou sur des éléments support (moteur 3D…).

Les relations contractuelles entre développeurs et éditeurs sont particulièrement diversifiées, sachant que les « poids lourds » du secteur, comme Activision-Blizzard, EA, Titus, Infogrames ou Ubisoft, sont à la fois développeurs, éditeurs et distributeurs.

On distingue, parmi les développeurs, ceux qui n’ont pas d’indépendance par rapport à l’éditeur de ceux qui en conservent une. Les « first-party-publisher » sont intégrés à l’éditeur de jeu vidéo (ou au producteur de consoles) et peuvent utiliser soit le nom de leur éditeur (comme Nintendo, Electronic Arts, Ubisoft, Sega ou Activision-Blizzard), soit un nom propre (comme Polyphony Digital chez Sony).

Un « second-party-publisher » est un ancien studio indépendant qui s’est fait racheter par un« first-party-publisher » pour développer des jeux. Enfin, un « third-party-publisher » est un studio de développement indépendant, mais qui peut avoir des accords exclusifs d’édition avec les éditeurs.

L’initiative de la création d’un jeu provient de l’éditeur, ou du développeur lui-même s’il s’agit d’un concept original. La phase de conception, financée par l’un ou l’autre selon les cas, laisse place à une phase de pré-production débouchant sur la mise au point d’une maquette informatique puis, si elle est validée, à la phase de production proprement dite, financée par l’éditeur.

La rémunération du développeur comporte normalement deux parties : une avance sur royalties, fixe, que lui consent l’éditeur, et qui n’est pas remboursable, même en cas d’échec commercial, ainsi qu’une rémunération proportionnelle aux ventes effectives, versée une fois les coûts de production couverts.

· La phase de production

La phase de production du jeu, au sens qu’elle a dans l’industrie du cinéma, est prise en charge par l’éditeur. Celui-ci, qui a assuré le financement de sa création, détient les droits de propriété intellectuelle, produit le support du jeu, les notices et l’emballage du logiciel, assure le marketing et la promotion, et fait le lien avec le distributeur. C’est son label qui figure sur les jeux.

La plupart des éditeurs indépendants produisent aujourd’hui pour plusieurs plateformes (PC, PS3, Xbox 360, 3DS…). Une telle stratégie s’explique principalement par des raisons industrielles liées à l’augmentation du coût moyen de production. Le portage d’un jeu coûte en effet trois fois moins cher que le développement du jeu initial. En outre, cela permet de réduire la dépendance à une plateforme et d’assurer une plus grande ouverture pour les débouchés.

Il n’en reste pas moins que chaque constructeur de console (Sony, Nintendo, Microsoft) a intérêt à proposer des jeux en exclusivité pour valoriser spécifiquement son produit et assurer sa renommée. Il le fait au travers de productions internes ou en passant des accords avec des éditeurs tiers.

· La phase de distribution

Cette phase, qui comprend la vente physique de jeux vidéo, la vente de jeux sur mobiles et la vente et la location dématérialisées est le fait de divers types d’acteurs, dont les marges sont plus faibles.

Les distributeurs livrent les grossistes, les détaillants (comme Micromania en France ou GameStop aux États-Unis) et les centrales d’achat pour les grandes surfaces (comme Carrefour ou la FNAC). Les éditeurs les plus importants sont aussi distributeurs ; ils peuvent exercer cette fonction pour leur compte ou celui d’autres éditeurs. À l’inverse, certains distributeurs spécialisés ne sont pas éditeurs (comme Big Ben et Nobilis en France).

Le distributeur s’occupe de la partie logistique : il fournit les magasins revendeurs et gère le stock de marchandises. Le succès d’un jeu dépend du nombre de jeux vendus pendant les premières semaines ; dès lors, l’existence durant cette période d’un stock conséquent et d’un large réseau de distribution sont cruciaux, et l’action du distributeur tout autant.

d) La difficile conciliation du marché de l’occasion avec les nécessités de la lutte contre le piratage

Le marché parallèle de l’occasion est né en même temps que le jeu vidéo. La liberté du joueur sur le jeu qu’il possède et la volonté de pouvoir partager l’expérience ludique sont des principes considérés comme inaliénables dans la philosophie des« gamers ».

À l’heure actuelle, les Français sont les plus grands consommateurs de jeux vidéo d’occasion en Europe. Sous la double influence d’une conjoncture économique difficile et de certains phénomènes de mode tels que le « rétro gaming » (jeux anciens et de collection), les ventes ne cessent de progresser, le secteur représentant désormais trois milliards d’euros de chiffre d’affaires annuels.

À l’heure où la première mise en marché souffre, avec notamment la fin d’activité récente du réseau de vente Game, des enseignes de distribution spécialisées dans l’occasion se sont développées et voient leur activité croître. Ainsi, après avoir racheté une partie du réseau Game l’hiver dernier, l’enseigne Game Cash compte soixante-dix points de vente, avec l’ambition d’atteindre les cent cinquante à deux cents points de vente à terme, au rythme de dix à douze ouvertures par an.

Pourtant, l’avenir du marché de l’occasion semble largement hypothéqué par le développement massif de l’offre dématérialisée. Selon une récente étude du cabinet de conseil PwC, les ventes dématérialisées devraient dépasser les ventes physiques à l’horizon 2016 et porter à elles seules 64 % de la croissance mondiale du secteur d’ici 2017.

Cette évolution, qui n’a rien d’un mouvement naturel comme dans d’autres secteurs de l’édition, relève en réalité d’une stratégie des éditeurs et des consoliers pour, officiellement, lutter plus efficacement contre la fraude et, en réalité, mieux contrôler les joueurs et leur comportement.

La distribution de jeux en ligne permet certes, en exigeant des joueurs qu’ils s’identifient et se connectent régulièrement pour mettre à jour leurs jeux et pouvoir évoluer en leur sein, de limiter grandement les risques de fraude et de violation de la propriété intellectuelle dont sont porteurs les jeux d’occasion.

Des plateformes de distribution de contenu comme Steam ou Origin se placent ainsi entre l’usager et son jeu, tandis que des verrous numériques (DRM) ont pour objet de contrôler l’accès et l’utilisation des contenus acquis légalement.

Cependant, les motivations des fabricants de console et deséditeurs de jeux à développer l’offre digitalisée semble être davantage de « tenir » les joueurs à distance et de favoriser la facturation à ces derniers différents types de prestations : envoi de de codes de sécurisation des jeux et de toutes sortes de services en ligne pour améliorer leur jouabilité. Cette stratégie, quiin fine assèche le marché de la revente d’occasion, accentue en outre les dysfonctionnements sur les jeux en ligne, dont la maintenance est extrêmement délicate techniquement.

Une telle évolution s’est fait jour lors de l’annonce du lancement des deux dernières consoles de salon, à la mi-juin : la PlayStation 4 de Sony et la Xbox Onede Microsoft. Alors que la société japonaise n’imposait pas une connexion en ligne pour utiliser sa future console et laissait les joueurs libres d’échanger ou de revendre leurs jeux, la firme américaine exigeait tout d’abord une telle connexion régulière, toutes les 24 heures.

La réaction de la communauté des joueurs ne s’est pas fait attendre. Sur les sites spécialisés, les forums de discussion ou les blogs, les commentaires critiques ont fusé suite à cette annonce, que d’aucuns avaient déjà anticipée. Devant cette levée de boucliers et le risque concurrentiel que représentait la démarche plus libérale de son rival japonais, Microsoft faisait finalement « machine arrière » quelques jours plus tard, en indiquant qu’« une connexion à Internet ne sera pas requise pour jouer offline », le joueur n’ayant besoin que d’un accès unique lors de l’installation. Le consolier américain ajoutait que l’on pourrait « échanger, prêter, revendre, donner ou louer » des jeux sans restriction, comme c’est actuellement le cas avec la Xbox 360.

Ce revirement positif n’en laisse pas moins planer une menace diffuse sur l’avenir de cette filière de l’occasion. Sa disparition aurait des conséquences néfastes, tant pour les joueurs que pour la filière prise dans sa globalité.

Pour les premiers, la possibilité de revendre d’occasion des jeux achetés neufs permet en effet d’amortir ces acquisitions, dont les montants sont relativement élevés pour les« hits » du secteur puisqu’ils peuvent aller jusqu’à quatre-vingt euros. Cela se vérifie particulièrement pour les publics les moins fortunés, tels que les jeunes ou les étudiants, qui constituent de surcroît la plus grande part des « gamers ».

Interdire un tel refinancement risquerait fort d’empêcher, ou du moins de désinciter ces utilisateurs à acheter de nouveaux jeux, mais également à acquérir de nouvelles consoles, ce qui affecterait à la fois les éditeurs et les fabricants de ces deux types de produits. En outre, cela réduirait fortement l’activité des sociétés spécialisées dans la vente de jeux vidéo, neufs ou usagés, désormais concurrencées par les plateformes dématérialisées.

Le marché de l’occasion parait donc essentiel pour l’industrie vidéoludique. C’est d’ailleurs ce qui ressort d’une étude réalisée par Masakazu Ishihara et Andrew Ching, respectivement professeurs de marketing à l’Université de New York et à l’Université de Toronto. Se basant sur le marché vidéoludique japonais, ils anticipent une baisse de profits de 10 % par jeu en cas de disparition totale du second marché des jeux vidéo.

e) La courte durée de vie des produits

Le marché des jeux vidéo se caractérise par une extrême volatilité et par des cycles d’exploitation excessivement courts. La plupart des jeux sur support physique se vend ainsi dans les deux semaines suivant leur lancement, la période octobre-décembre, qui suit la rentrée scolaire et s’achève avec les fêtes de fin d’année, étant particulièrement propice : les ventes de Noël représentent en effet 40 % du chiffre d’affaires saisonnier. La durée de vie commerciale d’un jeu sur PC est d’un an au plus, et de 6 mois seulement sur une console.

Le secteur des jeux vidéo « ne fait pas de conserve » : un titre, pour populaire et rentable qu’il soit, sera très rapidement relégué par d’autres sorties, plus abouties techniquement ou visuellement. A l’inverse du cinéma,il n’existe donc pas de catalogue des jeux vidéo dans lequel les joueurs peuvent puiser des années après leur parution.

Selon Laurent Michaud, responsable du pôle« loisirs numériques et électronique grand public » à l’IDATE, « la règle économique « s’adapter ou disparaître » n’a jamais été aussi vraie qu’aujourd’hui dans l’industrie du jeu. Et jamais cette règle ne s’est exercée aussi vite qu’aujourd’hui. Les temps de production se raccourcissent sur de nombreuses plateformes (mobiles, tablettes, réseaux sociaux, navigateurs) et le time to market est très court, tout comme parfois le temps qui sépare le développeur de la désillusion ».

Le caractère très éphémère de la durée de vie des jeux vidéo contraste avec le temps nécessaire à leur élaboration. Technique, complexe, faisant intervenir de multiples acteurs, cette phase est souvent étalée sur des périodes bien plus longues que celle de l’industrie du cinéma, par exemple. Selon la nature des projets, il peut ainsi s’écouler de un à sept ans entre la phase de conception et l’achèvement du projet concrétisé par sa commercialisation.

Le poids considérable des dépenses marketing

La création et la mise sur le marché de jeux vidéo, qui requièrent des compétences à très haute valeur ajoutée, passent par la sollicitation de financements toujours plus importants.

Grâce aux avancées de l’informatique personnelle, il est aujourd’hui possible à des développeurs amateurs de mettre au point des jeux relativement basiques ensuite proposés sur des plateformes gratuites à un public plus ou moins large. Mais l’édition de « hits », susceptibles de rapporter des dizaines, voire des centaines de millions d’euros suppose de mobiliser des moyens industriels aux coûts sans cesse plus importants. Les plus grosses productions ont ainsi nécessité d’investir une centaine de millions d’euros.

La seule phase de pré-production implique déjà des sommes conséquentes : les projets présentés pour bénéficier du Fonds d’aide aux jeux vidéo, qui aide au financement de cette phase, affichent en effet des budgets de 400 000 à 600 000 euros en moyenne.

Mais c’est, en aval, le poste marketing qui est le plus coûteux. Il recouvre aussi bien les spots télévisés que les pages dans les magazines (spécialisés ou non), les campagnes d’affichage de plus ou moins grande envergure, la mise en place de bannières sur des sites Internet, l’achat de « homepages », les présentations auprès de la presse lors d’événements organisés aux quatre coins du monde ou la réalisation de vidéos.

Sur les plus grosses productions, pas moins de la moitié du budget total y est dédiée. L’entreprise d’origine lyonnaise Arkane Studios, pour le lancement de son jeuDishonored, aurait mobilisé un budget de vingt millions d’euros, répartis à parts égales entre la conception du jeu et les dépenses de marketing.

Si ces montants sont substantiels, ils demeurent modestes au regard de ceux concernant les « poids lourds » du secteur. Ainsi, selon le Los Angeles Times30(*), le développement du jeu Call of duty : Modern Warfare 2 aurait coûté entre 40 et 50 millions de dollars (entre 27 et 33,6 millions d’euros) – soit moins toutefois que les 100 millions de dollars de GTA IV – pour un coût global du projet – incluant cette fois le budgetmarketing – de l’ordre de 200 millions de dollars (134,5 millions d’euros) !

Les financements alloués à la promotion sont parfois plus importants que ceux du développement et de la production, car le lancement se fait à l’échelle mondiale et doit avoir un impact massif, l’essentiel des revenus tirés du jeu étant perçus dans les quelques semaines suivant sa sortie. Cette dernière est donc organisée comme un événement médiatique majeur et prend dorénavant une dimension gigantesque.

En amont des jeux vidéo, l’industrie des consoles est également marquée par une inflation de son budgetmarketing, supportée par des fabricants qui sont également éditeurs de jeux, ou « first party publishers ». Microsoft a ainsi dépensé 569 millions d’euros pour sa campagne de publicité pour la Xbox, tandis que Nintendo a investi 20 millions en marketing en France et 100 millions d’euros en Europe pour le lancement de la GameCube il y a dix ans. Des chiffres qui seront largement dépassés lors du lancement de la future génération de consoles, attendu cette année.

LIRE LE RAPPORT DANS SON INTEGRALITE

Une réflexion sur “La France et les jeux vidéo : des précurseurs, des échecs et des réussites mondiales

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