CLIMAT

Le bassin méditerranéen : pluies intenses dans un « hot spot » climatique

CYBERGEO

par Florian Raymond, Albin Ullmann et Pierre Camberlin

Le bassin méditerranéen est une zone de transition majeure entre le climat tropical, d’une part, et le climat tempéré des moyennes latitudes, d’autre part. Considéré par le dernier rapport du GIEC comme étant un « hot spot » climatique (IPCC, 2013), le bassin méditerranéen est affecté de façon répétitive par des épisodes de précipitations intenses aux forts impacts socio-économiques et environnementaux (Toreti et al., 2010).

L’automne 2014 fût le théâtre de nombreux évènements de précipitations intenses dans le bassin méditerranéen. Ainsi, entre le 17 septembre et le 29 novembre 2014, il y a eu, rien qu’en France, pas moins de 9 évènements marquants, donnant lieu à des inondations importantes, des dégâts matériels conséquents et surtout des pertes humaines. Parmi ces évènements, certains ont été d’une rare intensité, avec notamment 452mm de précipitations relevés à Saint-Gervais sur Mare (34) entre le 17 et le 19 septembre, 343mm à Plaissan (34) le 29 septembre, ou encore plus de 500mm relevés dans certaines portions des reliefs corses entre le 28 et le 29 novembre. L’Italie a également été touchée par des inondations, avec notamment l’épisode du 9 au 12 novembre et le débordement du Lac Majeur, entrainant des pertes humaines. On peut aussi relever les deux évènements intenses marocains, du 21 au 23 novembre et du 27 au 28 novembre, entrainant là encore de nombreuses pertes humaines et dégâts matériels.

L’observation répétée d’épisodes de précipitations extrêmes à l’automne 2014 soulève certains questionnements, notamment sur la récurrence et l’intensité de ces phénomènes climatiques lors des dernières décennies.

Y a-t-il de plus en plus d’évènements de précipitations extrêmes sur le pourtour méditerranéen ? Sont-ils de plus en plus intenses ? Le changement climatique globalement observé est-il à l’origine de cet automne 2014 particulièrement exposé aux inondations ?

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Conclusion

Cette étude a permis d’appréhender les caractéristiques spatio-temporelles des phénomènes pluviométriques extrêmes depuis les années 1950 à l’échelle du bassin méditerranéen.

Des tendances assez marquées à la baisse des cumuls saisonniers montrent un assèchement quasi général du bassin méditerranéen, comme l’ont déjà montré Alpert et al. (2002), Giorgi (2002), Klein Tank et Konnen (2003), Brunetti et al. (2004), Kostopoulou et Jones (2005), Norrant et Douguédroit (2006), Toreti et al. (2010) ou encore Tramblay et al. (2013) dans leurs études respectives. En ce qui concerne les évènements de précipitations intenses (phénomènes très localisés et ponctuels), il est en revanche bien plus délicat de mettre en avant une tendance significative propre à l’ensemble du bassin méditerranéen. Certaines zones montrent une réduction du nombre d’évènements intenses, comme celle du centre-ouest des Balkans, généralement associée à une diminution des précipitations moyennes. A l’inverse, certaines zones montrent une augmentation du nombre d’évènements de précipitations intenses, comme par exemple dans le centre de l’Italie, généralement associé à une augmentation des précipitations moyennes. Enfin, le sud-est de l’Anatolie montre une augmentation du nombre d’évènements de précipitations intenses malgré l’observation d’une diminution des précipitations moyennes sur ce secteur. De nombreuses zones ne montrent quant à elles aucune tendance significative concernant les évènements intenses.

Avec les récents évènements observés à l’automne 2014 principalement dans le Golfe du Lion, la plupart des débats relayés par les médias nationaux semblaient mettre en cause l’augmentation du nombre de ces évènements de précipitations intenses dans le sud de la France. En réalité, aucune augmentation n’est détectée en France entre 1950 et 2013, on peut même observer une légère diminution significative de ce nombre d’évènement dans le secteur du Gard et de l’Hérault ainsi que dans le sud-ouest de la France (figure 6). Le nombre important d’évènements de précipitations extrêmes observés en France à l’automne 2014 serait alors simplement le fruit de la forte variabilité interannuelle associée à ce type de phénomènes climatiques ponctuels.

D’autres secteurs semblent en revanche montrer de réelles tendances à l’augmentation de la contribution des précipitations intenses dans les cumuls saisonniers, mais ne représentant qu’une part restreinte du bassin méditerranéen. Ils sont situés dans des secteurs où les précipitations restent en moyenne bien plus faibles qu’en France (sud de l’Anatolie, sud-est et nord des Balkans et sud de l’Espagne), ou alors sur des secteurs ou l’anthropisation se fait moins oppressante (partie du nord-est de l’Espagne et Bosnie-Herzégovine), ce qui dans les deux cas n’engendre pas les mêmes impacts socio-économiques. On se rend finalement compte que la géographie des précipitations observées sur le secteur méditerranéen est extrêmement complexe, car fortement hétérogène à l’échelle du bassin.

Au-delà de l’aspect climatique qu’on ne peut contrôler et qui ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis les années 50, l’enjeu français ne porterait-il pas alors davantage sur l’accroissement de la pression anthropique sur des zones sensibles aux évènements de précipitations intenses ? Il se peut que l’augmentation de l’imperméabilisation des sols par l’homme soit l’une des principales causes de l’accroissement de la vulnérabilité face aux inondations de grandes ampleurs observées depuis quelques décennies en France (Chocat, 1989 ; Montoroi, 2012). Le parallèle peut-être fait avec le déboisement massif des reliefs opéré aux 18ème et 19ème siècles en France (Lilin, 1986), obligeant à l’époque la mise en place des services de la Restauration des Terrains en Montagne (RTM) afin de ré-végétaliser les versants pour freiner l’érosion massive alors observée entrainant à l’époque de nombreuses inondations, glissements de terrain ou autres coulées de boues. Bien que la géographie complexe des précipitations intenses soit contrôlée par le climat, il est finalement admis depuis un certain temps que des aspects autres que le seul climat vont influencer la vulnérabilité des sociétés face aux précipitations extrêmes, notamment face aux inondations. La perception par l’homme de l’évolution de l’aléa et la réelle variabilité climatique associée sont de ce fait parfois divergentes.

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