DECORTIQUAGES

Comment les glaciers modèlent les paysages 

CNRS/INSU

Les glaciers Alpins sont des acteurs majeurs du relief et de la morphologie des chaînes de montagne. Pour la première fois, une équipe internationale impliquant l’IMPMC (Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie (UPMC – Sorbonne Universités, CNRS, IRD, MNHN) et des chercheurs suisses, américains et néo-zélandais a pu quantifier la loi d’érosion d’un glacier de type Alpin en Nouvelle Zélande. Ces travaux publiés dans la revue Science du 9 octobre 2015 prédisent un impact important des variations climatiques sur l’érosion glaciaire.

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  • Vue générale du glacier Franz Josef qui s’étend sur environ 10 km et glisse à une vitesse pouvant atteindre 2 m/j sur un substrat rocheux composés de schistes métamorphiques. Ces schistes contiennent les matériaux graphitiques utilisés pour tracer la provenance des particules sédimentaires dans le ruisseau sous-glaciaire. © O. Beyssac
  • Terminaison du glacier Franz Josef montrant le ruisseau sous-glaciaire dont les eaux sont chargées de particules sédimentaires. Les roches affleurant sur la droite ont été fortement érodées par l’abrasion du glacier avant son retrait. © O. Beyssac

Si depuis longtemps, le rôle des glaciers sur la morphologie des paysages est reconnu et décrit de manière qualitative, il n’y a pas de consensus sur le lien quantitatif entre la vitesse de glissement des glaciers et l’érosion liée à ce glissement. Ceci est principalement lié à l’impossibilité d’observer ce qui se passe sous les glaciers et d’y réaliser des mesures directes pour quantifier l’érosion, mais aussi de réaliser des mesures intégrant les fluctuations saisonnières.

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Pendant six mois, les chercheurs se sont penchés sur le cas du glacier Franz Josef (Ka Roimata o Hinehukatere en Maori) en Nouvelle Zélande. Ce glacier se trouve dans les Alpes de l’île du Sud dans la région du Mont Cook (Aoraki en Maori) dans une région affectée par d’intenses précipitations, environ 12m/an, qui alimentent le glacier. Ce glacier qui présente de fortes analogies avec les glaciers des Alpes Européennes mesure environ 10 km de long et glisse rapidement sur son substrat rocheux avec des vitesses pouvant atteindre 2 m/jour.


Vitesse de déplacement à la surface du glacier Franz Josef sur une période de 10 jours durant les étés 2013 et 2014. Ces vitesses ont été calculées à partir du déplacement 3D obtenu à partir d’images stéreo Worldview. © Science

Les chercheurs ont utilisé une approche pluridisciplinaire afin de déterminer la vitesse de glissement du glacier d’une part et le taux d’érosion d’autre part sur la période choisie. La vitesse de la surface du glacier a été quantifiée grâce à l’utilisation d’une technique nouvelle de correlation d’images satellitaires permettant de cartographier cette vitesse avec une grande précision et une excellente résolution spatiale à l’échelle du glacier sur la période choisie. Cette vitesse est ensuite extrapolée à la vitesse de glissement du glacier.
Pour estimer les taux d’érosion, les chercheurs ont procédé indirectement : ils ont installé pendant plusieurs mois une station de mesure du débit et de taux de particules sédimentaires en sortie du ruisseau sous-glaciaire. Afin de préciser la provenance de cette charge particulaire, ils ont étudié la structure cristalline des matériaux graphitiques contenus dans les particules sédimentaires par microspectroscopie Raman. Ces composés graphitiques sont des témoins de l’histoire métamorphiques des roches qui les contiennent, et montrent des variations structurales importantes dans les roches sur lesquelles s’étire le glacier de Franz Josef. En comparant la structure des matériaux graphitiques dans la charge particulaire avec celle des roches du substrat rocheux au long du glacier, ils ont pu déduire la provenance des particules générées par l’érosion. Cette technique relativement simple à mettre en oeuvre a ainsi permis de réaliser pour la première fois une cartographie précise de l’érosion sous un glacier Alpin.
Au final, cette étude montre que le taux d’érosion dépend du carré de la vitesse de glissement du glacier et augmente donc avec le temps. Ces résultats sont en accord avec l’augmentation généralisée du glissement des glaciers observée depuis quelques décennies au bord des grandes calottes. Les implications sont importantes puisque d’après ce modèle l’érosion glaciaire va s’intensifier de manière non linéaire avec le réchauffement climatique.

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