DECORTIQUAGES

Gaz de schiste : vers une fracturation moins polluante ?

BULLETINS ELECTRONIQUES

Une équipe de chercheurs américains vient d’expérimenter en laboratoire une nouvelle méthode d’extraction des gaz de schiste en modifiant le mélange utilisé traditionnellement pour la fracturation des roches. Son utilisation pourrait réduire les besoins énergétiques nécessaires à la création de réservoirs de gaz rentables sans provoquer de fissures profondes dans les sols.

Capture d’écran 2015-05-04 à 15.27.21

Techniques de fracking et leur impact
Crédits : Creative commons


Le groupe de scientifiques, emmené par Carlos Fernandez du Pacific Northwest National Laboratory, rattaché au Department of Energy (DoE), a développé un fluide capable de multiplier son volume par 2,5 au contact du dioxyde de carbone. La présence de poly-allylamine – polymère provenant d’une réaction entre le chlorure d’allyle (CH2=CH-CH2Cl) et l’ammoniac (NH3) – dans le fluide le rend réactif à une stimulation au CO2. La réaction permet alors la transformation de la solution aqueuse du polymère en un hydrogel. Cet hydrogel cherche à occuper un plus grand volume que la solution aqueuse, il exerce alors une pression provoquant la fracture de la roche.

Des avantages environnementaux et économiques

Cette technique présente de nombreux avantages. Elle permet d’abord de réduire considérablement la quantité d’eau communément utilisée pour la fracturation hydraulique (en moyenne, 15 millions de litres pour avoir accès à un réservoir). Pour rappel, la fracturation hydraulique repose aujourd’hui sur l’injection à forte pression d’eau, de sable et de produits chimiques. L’eau à haute pression permet la fracturation progressive des schistes. Le sable s’infiltre alors dans les fissures pour empêcher qu’elles ne se referment, tandis que les produits chimiques facilitent la récupération des huiles et gaz, et empêchent la croissance de bactéries dans le puits.

Par ailleurs, le processus chimique qui a conduit à la formation de l’hydrogel peut être inversé à l’aide d’une dépressurisation au CO2 ou par l’ajout d’un acide dilué. Le fluide peut alors être en partie retiré, recyclé et réutilisé, réduisant ainsi la pollution des sols et l’impact environnemental. L’équipe de Carlos Fernandez va même plus loin, précisant que son produit agit également comme biocide, régulant ainsi la vie des organismes présents, et comme anticorrosif. Enfin, il serait non-toxique.

Jusqu’ici, la fracturation des sols représente une technique relativement coûteuse. Entre l’acquisition des permis, la fiscalité applicable, l’étude des sols, l’accès et le traitement de l’eau, les infrastructures et la faible productivité d’un puits, dont la majeure partie du gaz est extraite en 5 ans, la facture s’élève très rapidement. Grâce à la technique développée par l’équipe du DoE, le coût pourrait diminuer. La réduction de la quantité d’eau et l’utilisation du dioxyde de carbone, composé présent en quantité abondante dans la nature, devrait permettre de considérablement diminuer le prix de l’exploitation.

Un cadre juridique en pleine évolution

La publication de ces résultats, qui doivent encore être testés sur le terrain, arrive dans un contexte tendu aux Etats-Unis. Le gouvernement du Président Obama a annoncé à la fin du mois de mars 2015 de nouvelles mesures encadrant de manière plus rigoureuse la fracturation hydraulique pour les états n’ayant pas complètement interdit le procédé. Entre autres, la liste des produits chimiques utilisés pour la fracturation devra être rendue publique dans les trente jours suivant l’extraction et les parois des puits devront être renforcées pour éviter toute contamination des nappes phréatiques. Cette loi s’applique uniquement aux opérations réalisées sur les terrains fédéraux [1], ce qui représente seulement environ 20% de la totalité des forages. Les analystes estiment cependant que l’industrie en fera vite un standard, une seule règle fédérale étant préférable à une mosaïque de règles des états. Cette loi a cependant provoqué de vives réactions des industriels et des écologistes. Les premiers y voient un frein à l’expansion de la fracturation hydraulique, au moment où le prix du pétrole, de nouveau à la baisse, semble rendre le gaz de schiste moins nécessaire. Les seconds jugent la loi encore insuffisantes, exigeant l’interdiction totale de la fracturation hydraulique sur le territoire américain, ou des dispositifs plus contraignants..

A noter qu’il ne s’agit pas là de la première tentative pour trouver une alternative à la fracturation hydraulique [2]. La société canadienne GasFrac a notamment proposé en 2009 une technique reposant sur l’heptafluoropropane. Ce produit, introduit sous forme de gel liquéfié mélangé à du sable, n’utilise ni eau ni produits toxiques et peut être récupéré sous forme gazeuse pour ensuite être réutilisé. Cependant, plusieurs problèmes existent. Pour n’en citer qu’un, le fluoropropane présente un fort potentiel de gaz à effet de serre.

Le nouveau procédé de fracturation développé par l’équipe de Carlos Fernandez, sous réserve d’une expérimentation réussie, pourrait constituer une alternative à la fracturation hydraulique plus acceptable par les opposants à l’exploitation du gaz de schiste.

[1] Pour rappel, chaque état américain peut appliquer sa propre loi. Ainsi, la technique de fracturation est notamment interdite dans l’état de New-York.

[2] Voir le rapport de l’Assemblée Nationale sur les alternatives à la fracturation hydraulique.

Laisser un commentaire