POINTS DE VUES CRITIQUES

Gaza/Israël vu du Liban : Le degré zéro de l’humanité

L’ORIENT LE JOUR

par ZIYAD MAKHOUL

 

2007Gaza

Photo : AFP/Mahmud Hams

 

De ces Israéliens qui ont regardé les bombardements sur Gaza comme on va au spectacle à ces islamistes fanatiques qui n’ont pas compris que le terrorisme ne serait jamais la solution, le Moyen-Orient offre un triste spectacle, le degré zéro de l’humanité, déplore cet éditorialiste libanais.

 

Mets-toi à ma place.
 Se glisser, parce qu’il le faut, du moins dans un premier temps, parce qu’il faut essayer de comprendre, parce que rien n’est figé, que tout est fifty shades of grey, dans la peau de cette Israélienne qui a ramené des caramels, des bonbons, des pop-corn pour regarder, spectatrice privilégiée là-haut sur la montagne de Sderot, entourée de ses amis, en live et en 3D, le bombardement holocauste de Gaza. Essayer de trouver ne serait-ce qu’un infime plus petit dénominateur commun, entre elle et nous, mais lequel, pour applaudir, frétiller, se féliciter, comme elle.

Se mettre dans la peau de cet Israélien qui a menacé Diana Magnay, la journaliste de CNN, effarée, anéantie par ces réactions déréelles, et qui a été obligée d’effacer son tweet, qu’elle a terminé par le mot scum [voyou], avec un point final, épithète sublime et définitive assénée à la gueule de ces gens-là. Se glisser dans leur peau, puis en ressortir d’un coup, ivre de dégoût, de honte, d’incrédulité aussi, et se demander ce qui a bien pu se passer pour en arriver là.

Résister par la culture et l’éducation

Mets-toi à ma place.
 Se glisser, parce qu’il le faut, du moins dans un premier temps, parce qu’il faut essayer de comprendre, parce que rien n’est figé, que tout est fifty shades of grey, dans la peau de cet homme, de cette femme, du Hamas, Palestinien(ne) ou pas, qui n’ont toujours pas compris, des décennies après, que le terrorisme n’a jamais été la solution, que leurs enfants rêvent d’aller faire des études de médecine à l’Université américaine de Beyrouth, ou d’intégrer Polytechnique, ou mélanger finance et british literature à Yale, qu’ils veulent résister ainsi, par la culture, l’éducation, l’argent et la diplomatie, pas par les ceintures de TNT ni en attendant les dizaines de vierges au paradis ou en enfer.

Se mettre dans la peau de cet homme, de cette femme, qui encourage, par ses actes, cette barbarie des gouvernements israéliens successifs, qui l’enfle, la décuple, la gigantise, la justifierait presque. Se mettre dans la peau de ceux-là mêmes qui deviennent complices en barbarie, parce que leur geste, aussi désespéré soit-il, tsunami à mort, entraîne des centaines et des centaines de cadavres, 296 en une semaine [bilan avant la journée du 20 juillet où au moins 97 Palestiniens auraient été tués dans la bande de Gaza ainsi que 13 soldats israéliens].

Des années d’oppression

Se glisser dans leur peau, puis en ressortir d’un coup, horrifié, pantelant.
 Mets-toi à ma place.
 Se glisser, parce qu’il le faut, du moins dans un premier temps, parce qu’il faut essayer de comprendre, parce que rien n’est figé, que tout est fifty shades of grey, dans la peau de ce sunnite fondamentaliste qui égorge 115 personnes d’un coup sur un champ gazier de Homs ou lapide à mort une femme à Raqqa pour… adultère, essayer d’envisager, de rationaliser l’humiliation intense devenue la sienne après des années d’oppression menée tambour battant de l’Iran au Liban en passant par l’Irak et la Syrie, par le croissant chiite : ayatollahs-Maliki-Assad-Hezbollah.

Se glisser, parce qu’il le faut, du moins dans un premier temps, parce qu’il faut essayer de comprendre, parce que rien n’est figé, que tout estfifty shades of grey, dans la peau de ce Libanais, membre du Hezbollah, passé de résistant french style superbe jusqu’à l’an 2000 à vulgaire milicien puis à mercenaire à la solde d’un gang au pouvoir en Syrie, tenter de comprendre, lentement, quelles peurs, quelles angoisses doivent être les siennes pour qu’il en arrive, sans ciller, à sacrifier sa vie pour une cause qui ne devrait en aucun cas être la sienne, à ouvrir le Liban à tous les vents mauvais, à métastaser l’État et noyer le seul pays qui soit le sien.

Schizophrénie générale

Se glisser dans ces peaux-là, puis en ressortir d’un coup, noyé de sueur et de rage froide.
 Mets-toi à ma place.
 Se glisser, parce qu’il le faut, du moins dans un premier temps, parce qu’il faut essayer de comprendre, parce que rien n’est figé, que tout est fifty shades of grey, dans la peau de ces femmes, de ces hommes, tous milieux socioculturels confondus, qui s’enfoncent dans un lyrisme hallucinant, une transe quasi mystique, pour condamner, dans tous les termes et tous les excès possibles la (certes très condamnable) sauvagerie de l’État hébreu contre les enfants palestiniens, sans un instant n’évoquer, ne serait-ce qu’en un mot, un seul, les mêmes exactions, aussi monstrueuses, commises par les Assad contre les enfants de Syrie.

Se glisser dans leur peau, puis en ressortir d’un coup, terrifié par l’ampleur de cette schizophrénie, son évidente incurabilité.
 Mets-toi à ma place.
 Dans ce Proche-Orient épicentre depuis toujours de tous les séismes, berceau ensanglanté de toutes les religions monothéistes, Ground Zero, donc, de l’anamorphose de l’humanité, jamais, au grand jamais, l’on ne s’est approché à ce point (de non-retour ?) du degré zéro de cette humanité, jamais autant approché du degré zéro, naturellement, du et de la politique.

 

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