GEOGRAPHIE HUMAINE

Vietnam/Russie : plus proches que jamais

GAZETA RU

by ROUSTEM FALIAKHOV

Accords commerciaux et coopération militaire étaient à l’ordre du jour de la visite à Hanoï de Vladimir Poutine les 12 et 13 novembre. Des discussions qui donnent à Moscou un nouvel atout stratégique en Asie du Sud-Est.
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  • Le président russe Vladimir Poutine et son homologue vietnamien Truong Tan Sang à Hanoï, le 12 novembre 2013 – AFP/Na Son Nguyen
L’Union douanière [réunissant la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan] et la république socialiste du Vietnam peuvent conclure les accords de création d’une zone de libre-échange, écrit Vladimir Poutine dans une tribune intitulée « Russie-Vietnam : ensemble vers de nouvelles frontières de la coopération », publié le 11 novembre dans les principaux journaux vietnamiens, à la veille de la visite du président russe à Hanoï. La Russie occupe le 19e rang parmi les 100 pays et territoires qui investissent au Vietnam. Si le Vietnam rejoint la zone de libre-échange, cela permettra à la Russie de tripler ses échanges bilatéraux d’ici à 2020, pour atteindre un montant de 10 milliards de dollars [7,5 milliards d’euros].Au Kremlin, on escompte que cet accord donne une nouvelle impulsion aux relations entre les deux pays, qui se sont traditionnellement bâties sur la confiance et l’entraide. « Quand tu bois de l’eau, souviens-toi de sa source », disait le président Hô Chi Minh [1890-1969], cité par Poutine qui considère ces paroles comme « une injonction spirituelle pour les générations actuelles et à venir de nos deux pays ».

Le souhait du Vietnam de rejoindre au plus vite l’Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan avait déjà été exprimé par le président Truong Tân Sang en juillet 2012 lors de sa visite à Moscou, puis confirmé au cours du sommet de la coopération économique Asie-Pacifique (Apec) à Vladivostok. A Hanoï, on n’exclut pas d’intégrer l’Union douanière dès 2014. L’intégration doit se faire selon trois orientations clés : le nucléaire civil, l’extraction de pétrole et de gaz, et la coopération militaro-industrielle.

Le retour de la flotte russe à Cam Ranh

La première centrale vietnamienne est actuellement en construction dans la province de Ninh Thuân, en vertu de l’accord signé avec Rossatom, l’Agence nucléaire russe, en 2010. Cette dernière avait remporté l’appel d’offres face à la Chine, les Etats-Unis et le Japon. La mise en service des deux réacteurs est prévue pour 2023-2024. La Russie a octroyé un crédit de 8 milliards de dollars [6 milliards d’euros] au Vietnam pour le financement de la construction de la centrale « la plus moderne et la plus sécurisée », selon le patron de Rossatom, Sergueï Kirienko.

A l’issue de la visite de Vladimir Poutine, doit également être signé l’acte de remise au Vietnam du premier des six sous-marins à propulsion hybride Diesel-électrique qui doivent rejoindre les forces armées du Vietnam. Le contrat se monte à 2 milliards de dollars [1,5 milliard d’euros]. Par ailleurs, en 2016-2017, deux bâtiments de combat Guepard-3.9 seront livrés à Hanoï. Le sous-marin sera livré fin décembre au port de Cam Ranh, où sera créée une base d’entretien et de réparation des sous-marins.

« On peut quasiment parler de retour de la flotte russe à Cam Ranh après dix ans d’interruption », estime le directeur de la chaire d’histoire des pays d’Extrême-Orient de l’Université de Saint-Pétersbourg, Vladimir Kolotov. Pendant la guerre froide, Cam Ranh [l’une des plus grandes et des plus profondes baies du monde] se trouvait aux premières loges dans la confrontation militaire entre l’URSS et les Etats-Unis. Pendant la guerre du Vietnam, le port (situé dans le sud du pays) servit de base arrière aux Etats-Unis. En 1979, le Vietnam céda à l’Union soviétique le droit d’utiliser gratuitement le port comme point d’assistance technique et matérielle de la flotte militaire soviétique en mer de Chine méridionale. En 1998, Hanoï exigea un loyer annuel de 300 millions de dollars [223 millions d’euros] pour la base. Moscou refusa, et, en 2002, les soldats russes quittèrent Cam Ranh.

Freiner certaines ardeurs à Pékin

Les experts font unanimement le lien entre la commande de six sous-marins à la Russie et le retour des militaires russes à Cam Ranh, et les prétentions territoriales de la Chine. Celles-ci concernent les îles Spratley et Paracels, sur lesquelles du pétrole a été découvert au début des années 1990. Depuis, le Vietnam, la Malaisie, Bruneï, Singapour et l’Indonésie se disputent le droit de son exploitation. Mais c’est surtout entre le Vietnam et la Chine que le conflit territorial prend de l’ampleur.

Le Vietnam a un besoin aigu de la Russie comme contrepoids à la Chine, estime Ilia Oussov, chercheur émérite à l’Institut russe des études stratégiques. En outre, la base de Cam Ranh permettra à la Russie de surveiller des zones d’importance stratégique en Asie du Sud-Est. La vente des sous-marins rééquilibrera partiellement le rapport de force en Asie du Sud-est. « Ni la Russie ni la Chine n’a intérêt à la déstabilisation de cette région, et ce renforcement de la puissance militaire aidera à freiner certaines ardeurs à Pékin », estime Kolotov.

L’adhésion du Vietnam à la zone de libre-échange avec l’Union douanière est avant tout un jeu géopolitique, poursuit l’expert. « Les échanges entre la Russie et le Vietnam sont insignifiants, une telle union ne peut faire aucun mal, tandis que les dividendes moraux sont tout à fait possibles. La Russie montre au monde entier qu’elle adopte la tendance dominante, en renforçant l’intégration économique », explique Oussov. Enfin, grâce au Vietnam, la Russie augmentera sa production et aura accès au marché de la zone de libre-échange de dix pays – les membres de l’Association des nations de l’Asie du sud-Est (Asean) et la Chine, soit deux milliards de consommateurs, conclut l’expert.

 

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