DONNEES ET ANALYSES

France : les transports, facteurs d’aggravation de la fracture territoriale ?

SENAT

Rapport de MM. Jacques MÉZARD et Rémy POINTEREAU, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales,

648029-791028[1]DR

En dépit des importants transferts opérés depuis les années 70 vers les collectivités territoriales par l’État, dans les secteurs routier et ferroviaire, l’État n’a pas effectué sur les infrastructures restant à sa charge les investissements requis pour leur maintien en bon état.

L’élaboration du projet de SNIT témoigne d’une prise de conscience tardive et lacunaire de cet état de fait.

A. LES TRANSFERTS EFFECTUÉS DE L’ETAT VERS LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. Le réseau routier

Jusqu’au début des années 70, le réseau routier national comportait environ 80 000 km, dont 40 000 km de voies départementales intégrées au domaine public national en 1930 pour soulager les finances locales.

Sur la base d’un schéma directeur établi par la Direction des routes en collaboration avec la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR), la loi du 29 décembre 1971 a prescrit la décentralisation de 53 500 km.

L’action de l’État s’est alors concentrée, parallèlement au développement du réseau autoroutier concédé, sur un réseau de 27 500 km assurant :

– les relations entre Paris, les « métropoles d’équilibre » et les grands centres internationaux ,

– les relations entre les métropoles d’équilibre et les agglomérations de plus de 40 000 habitants, ainsi que les liaisons de ces dernières entre elles ;

– les itinéraires supportant au moins 2 000 véhicules/jour (en 1965) sur plus de 75 km.

Le schéma résultant de l’application de ces critères a été complété pour assurer le maillage du réseau et une couverture équilibrée du territoire.

Jusqu’en 2006, le réseau routier national résultait du réseau ainsi défini en 1971 et des adaptations ultérieures successives marquées essentiellement par :

– l’augmentation du réseau autoroutier concédé ;

– le déclassement des infrastructures anciennes à l’occasion des créations de voies nouvelles hors péage (notamment les traversées d’agglomérations) ;

– des déclassements complémentaires spécifiques pour les départements de la petite couronne parisienne qui n’étaient pas inclus dans la loi de 1971, déclassements réalisés par voie conventionnelle ;

– le déclassement du réseau national corse.

En application de la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004, le réseau routier national a subi les évolutions suivantes :transfert aux départements de 16 947 km en 2006, de 340 km en 2007 et, depuis 2008, reclassement supplémentaire de 574 km dans la voirie départementale ou communale.

Le réseau routier national comptait, au 1er janvier 2013, 20 938 km, dont 12 136 km non concédés et 8 802 km concédés.

Ce linéaire du réseau routier national non concédé était, au 1er janvier 2013, de 11 596 km en territoire métropolitain, et de 540 km en Outre-mer (essentiellement Guyane), soit un total de 12 136 km, dont 6 582 km en 2 fois 2 voies et plus. A ces 12 136 km, il convient d’ajouter, au 1er janvier 2013, 8 802 km d’autoroutes concédées.

Les évolutions retracées ci-dessous ne concernent que le seul réseau routier national non concédé. Les montants indiqués pour l’entretien de ce réseau ont été corrigés sur la période 2003-2006, de manière à se rapporter à un périmètre de réseau comparable à celui entretenu après les transferts de 2006.

Entretien routier en M€ courants

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Total

314

348

295

400

380

468

494

525

440

422

Ces chiffres comprennent l’ensemble des ressources apportées par les lois de finances initiales et par l’AFITF, mais n’intègrent pas les ressources du plan de relance de 2009, ni les dépenses de mise en sécurité des tunnels réalisées à partir de 2009.

Les investissements englobent tous les co-financeurs, et ont été corrigés pour la période 2003-2006 de manière à se rapporter à un périmètre de réseau comparable à celui entretenu après les transferts de 2006.

Investissements en M€ courants

1990

2000

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Total

1 788

1 312

1 569

1 559

1 252

1 275

1 335

1 084

792

738

En 2013, les montants prévus au titre de l’investissement devraient représenter 771 M€.

2. Le réseau ferré

Depuis le 1er janvier 2002, les régions se sont vu transférer la compétence d’autorité organisatrice des transports (AOT) collectifs d’intérêt régional. À cette date, les conseils régionaux ont hérité d’une organisation qui relevait de la compétence de la SNCF par délégation de l’État.

Ils ont été chargés du financement des services de transports ferroviaires régionaux de voyageurs, désignés par le terme « TER » (Transport Express Régional), qui intègrent également les services routiers effectués en substitution des services ferroviaires.

Les autorités organisatrices régionales sont responsables du contenu du service public de transport régional de voyageurs et, notamment, des dessertes, de la tarification, de la qualité du service et de l’information de l’usager.

Pendant plusieurs décennies, le transport ferroviaire de proximité a été considéré insuffisamment compétitif face à l’automobile. Les investissements ferroviaires se sont alors largement focalisés sur la grande vitesse, engendrant une dégradation continue du réseau classique.

En France, comme dans d’autres pays européens, le déclin du transport ferroviaire non urbain a ainsi été significatif en termes de fréquentation.

Avec la décentralisation, les régions se sont vu transférer des réseaux qui nécessitaient une remise à niveau de grande ampleur tant du point de vue des voies que des gares et du matériel roulant. Cette décentralisation a permis un rebond d’activité à partir de 1997.

Sous l’impulsion politique et financière des nouvelles AOT, le Transport Express Régional a connu une importante progression. Les gares, autant que le matériel roulant, ont été modernisées.

L’accroissement de l’offre de service a également été associé à des grilles tarifaires nouvelles plus adaptées aux contextes locaux, avec des tarifs sociaux et une adaptation des abonnements.

Les bénéfices pour les usagers ont été importants tant du point de vue de la quantité que de la qualité de service et des offres tarifaires. Le développement massif de l’offre de service s’est traduit par une forte hausse de la fréquentation. De 2002 à 2007, le trafic TER a crû de 27 % en moyenne au niveau national.

La compensation des charges transférées aux régions s’est faite dans les conditions fixées par les articles L. 1614-1 à L. 1614-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), sous réserve des dispositions spécifiques prévues à l’article L. 1614-8-1.

Ce transfert de compétences a été accompagné par des compensations financières. Ainsi, les dotations globales de décentralisation (DGD) incorporées en 2004 à 95 % dans les dotations globales de fonctionnement (DGF) ont été composées de trois volets :

1.  Une contribution pour l’exploitation des services transférés ;

2.  Une dotation complémentaire pour le renouvellement du matériel ;

3.  Une dotation correspondant à la compensation pour tarifs sociaux nationaux.

L’État a calculé le montant de sa dotation en prenant en charge le déficit réel des comptes TER en 2000 (attestés par un cabinet indépendant) et du périmètre d’activités de 2002. Il a également contribué au renouvellement du matériel roulant à hauteur de 230 M€.

De leur côté, les AOT ont particulièrement investi dans le renouvellement d’un parc de matériel roulant désuet. Au total, dans neuf régions, le matériel ferroviaire roulant a été renouvelé ou rénové à plus de 80 % depuis 1993, et dans dix régions entre 50 et 80 %. En 2007, le matériel roulant TER était composé de 734 locomotives, 2 796 caisses autotractées et 3 791 voitures tractées. Elles ont également financé leréaménagement et la rénovation des gares et haltes ferroviaires (2 540 gares et haltes TER en 2007) dans un souci d’améliorer les conditions d’intermodalité.

L’intervention de Réseau Ferré de France (RFF) étant fortement contrainte par le poids de la dette héritée de la SNCF, l’État a directement contribué à l’effort de modernisation du service ferroviaire à travers les Contrats de Plan État/Région (CPER). Au-delà de leurs attributions, certaines régions ont également, investi dans la régénération du réseau ferré, et ont pris à leur charge les compensations tarifaires associées à des tarifications régionales innovantes mieux adaptées aux contextes locaux.

En 2008, le montant de la compensation versée annuellement aux régions par l’État était de l’ordre de 1,9 Md€. Les régions, quant à elles, ont consacré en 2007 environ 2,7 Mds € aux transports régionaux.

Il s’agit du troisième poste de dépenses de fonctionnement et d’investissement des régions, derrière les lycées (4,6 Mds €) et la formation professionnelle (3 Mds €). La charge financière au titre des TER a fortement augmenté entre 2002 et 2007, et représentait, en moyenne, un quart des budgets régionaux.

Ainsi, les régions ont fortement investi pour améliorer tant la qualité que la quantité des services. L’état du système de transport ferroviaire de proximité étant relativement vétuste au moment où il a été transféré, l’investissement était impératif.

De plus, l’accroissement de l’offre de service s’est traduit par une forte augmentation des dépenses de fonctionnement.

Les régions considèrent que les règles de compensation de l’État ne leur ont pas été favorables : elles doivent en effet supporter, en plus des nouvelles dépenses de fonctionnement, les péages et les compensations tarifaires supplémentaires.

Comme l’a souligné le rapport de la Cour des comptes publié le 25 novembre 2009, l’accroissement de trafic ne s’est pas traduit par une réduction des coûts par kilomètre de la part de l’exploitant unique, la SNCF.

Aussi l’amélioration de la transparence et de la fiabilité des comptes du TER avec un niveau de détail suffisamment fin sont-ils indispensables pour que les régions puissent être en mesure d’exercer leur rôle d’autorité organisatrice de transport régional.

UNE MAINTENANCE INSUFFISANTE DES RÉSEAUX RELEVANT DE L’ÉTAT

Pas plus que le réseau routier, présenté plus haut, le réseau ferré n’a bénéficié d’un volume financier suffisant, l’action étatique étant désormais centrée sur les réseaux dits« structurants ».

L’État, en effet, n’a pas réalisé les investissements requis par le simple maintien à un niveau constant de fonctionnement. C’est ce que décrit un rapport de la Cour des comptes, publié en juillet 2012, à la demande de la commission des Finances du Sénat, sur « l’entretien du réseau ferroviaire national ».

1. Les modestes effets positifs de l’audit du réseau ferré national français confié en 2005 à l’École polytechnique de Lausanne

En 2005, RFF et la SNCF ont mandaté un groupe d’experts indépendants réuni par le professeur Robert Rivier, directeur du Laboratoire d’Intermodalité des Transports et de Planification (LITEP) de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), afin de disposer d’un point de vue objectif et indépendant sur la maintenance (entretien et renouvellement) du réseau ferré national.

L’audit portait sur les spécialités suivantes : les voies, les ouvrages d’art (OA), les ouvrages en terre (OT), les installations fixes de traction électrique (IFTE) ainsi que les installations de télécommunication et de signalisation (IS-TEL).

Les buts et méthodologie de cette étude sont ainsi définis par ses auteurs :

« L’audit vise à évaluer en premier lieu l’état actuel de l’infrastructure du réseau ferré national français puis les politiques de maintenance actuellement appliquées par RFF et par la SNCF ainsi que leur mise en oeuvre.

Sur la base de ces analyses, l’audit fournit une appréciation des tendances et perspectives d’évolution probables, compte tenu des politiques de maintenance de l’infrastructure préconisées par les auditeurs, ainsi qu’une estimation des ressources nécessaires aux activités d’entretien et de renouvellement de l’infrastructure ferroviaire de 2006 à 2025.

L’audit repose sur une approche méthodologique divisée en étapes :

1.  La première étape vise à évaluer de manière quantitative l’état de l’infrastructure du réseau ferré ainsi qu’à analyser l’historique de l’évolution de cet état durant les vingt dernières années.

2.  La deuxième étape comprend l’analyse de l’historique des flux financiers (sommes utilisées annuellement pour la maintenance) et techniques (quantité annuelle d’interventions de maintenance) ainsi que de l’historique des sollicitations de l’infrastructure, essentiellement en termes de charges et vitesses du trafic.

3.  Ces historiques permettent, en troisième étape, de situer l’état actuel de l’infrastructure du réseau et fournissent les éléments d’analyse nécessaires à l’évaluation des politiques de maintenance appliquées par RFF et la SNCF. La pertinence économique et technique desdites politiques ainsi que leur mise en oeuvre y est évaluée et fait l’objet d’un diagnostic et de recommandations. »

Le rapport aboutit au constat que les ressources allouées au cours des trois dernières décennies à la maintenance du réseau ferré classique ne suffisent pas à en garantir l’état de la totalité du patrimoine, en dehors des lignes nouvelles.

Faute de choix clairs opérés par une réduction du périmètre du réseau en faveur de tronçons considérés pérennes, ni de planification à long terme de l’évolution du réseau classique en fonction de prévisions de la demande de transport, les ressources restreintes affectées à la maintenance sont réparties en fonction des urgences, pour assurer la sécurité de circulation sur toutes les lignes.

Une maîtrise durable des coûts de maintenance de l’infrastructure passe par un processus décisionnel basé sur l’analyse du cycle de vie des composants.

Il s’agit de dépenser« juste » aujourd’hui, pour dépenser peu demain. Or, il est nécessaire de définir une esquisse des objectifs de demain et des moyens mis à disposition pour y arriver. Ces deux informations font cruellement défaut aujourd’hui.

Cette situation engendre des reports d’opérations d’entretien préventif destinées à prolonger la durée de vie du patrimoine. Les ponts métalliques et les poteaux de caténaires ne sont plus mis en peinture,les drains et fossés le long des voies ne sont plus suffisamment entretenus, alors qu’ils jouent un rôle déterminant sur la stabilité de la plateforme de la voie.

Cette analyse, réalisée par des experts extérieurs aux débats français, récurrents dans le domaine des transports, a conduit à un redressement de la maintenance du réseau ferroviaire, dont la rénovation annuelle a été doublée dans les années suivantes, passant de 500 km à 1 000 km par an, sur un total de 32 000 km.

Sollicités en 2011 pour une actualisation de leurs premiers travaux, les mêmes experts, en août 2012, constatent que :

« Les conditions de sollicitation du réseau sont globalement similaires qu’en 2005, avec certaines évolutions marginales localisées qu’expliquent l’évolution du trafic et l’arrivée d’engins de traction de nouvelle génération.

Les volumes de trafic TER ont connu, sur la même période et selon la même source, une croissance de l’ordre de 43 %.Cette montée en puissance est essentiellement le fruit d’une politique de développement des dessertes régionales voulue par les AOT. Ceci a souvent exigé la mise à niveau de l’infrastructure des lignes concernées, mise à niveau qu’il a fallu financer.

En matière de grande vitesse, le contexte a sensiblement évolué avec l’ouverture des LGV Est (2007) et Rhin-Rhône (2011). Le périmètre des installations à maintenir s’est ainsi accru de 900 km de voies.

Autre élément nouveau, la vitesse maximale admise sur ces lignes s’élève à 320 km/h au lieu de 300 km/h. Mais cette augmentation de performance commerciale pourrait avoir une incidence sur les coûts d’entretien de la voie, estimés par certaines prévisions de l’ordre de 20 à 30 %. »

Ils en concluent que : « malgré certaines évolutions locales, les conditions globales actuelles de sollicitation du réseau sont en moyenne comparables à celles qui prévalaient durant l’audit Rivier de 2005 » ».

2. Le rapport de la Cour des comptes de juillet 2012

Après avoir rappelé la définition du terme de « maintenance », le rapport établit un constat critique de l’état du réseau ferroviaire. Il examine la mise en oeuvre de la politique de « maintenance » du réseau ferroviaire national et se réfère aux termes utilisés dans la convention d’entretien qui lie RFF et la SNCF.

La maintenance du réseau ferroviaire vise à conserver à celui-ci son niveau de performance. Elle s’appuie sur l’entretien, activité de surveillance et de correction de ses défaillances, financée sur crédits de fonctionnement,et sur le renouvellement, opération d’investissement de remplacement de ses composants. La maintenance doit s’adapter à l’hétérogénéité de ces composants (voies et installations de voies, ouvrages d’art, installations électriques, de signalisation et de télécommunication), et s’insérer dans le graphique de circulation, suscitant des arbitrages difficiles avec les sillons commerciaux.

Le réseau ferroviaire français représente un véritable défi pour la maintenance, du fait de sa taille, de son hétérogénéité et de son âge. Avec 29 273 km de lignes (chiffres 2011), auxquels s’ajoutent 15 000 km de voies de service, il constitue le second réseau européen, après le réseau allemand. Trait spécifique relevé par l’audit mené en 2005 par les experts de l’École polytechnique fédérale de Lausanne,le réseau français comprend un important réseau secondaire, avec 13 600 km de voies, dont 11 200 km sont parcourus par moins de vingt trains par jour. Cet audit avait souligné le vieillissement préoccupant de l’ensemble du réseau ferroviaire national, dû à l’effondrement des investissements de renouvellement depuis le début des années 80, les moyens financiers s’étant alors portés sur le développement des lignes à grande vitesse.

Sous l’influence des textes européens imposant une séparation entre un gestionnaire d’infrastructure ferroviaire et les entreprises utilisatrices de ce réseau, la réforme ferroviaire de 1997 a créé un gestionnaire d’infrastructure, RFF, et a néanmoins mis en place un système unique en Europe de répartition des responsabilités entre ce gestionnaire et son gestionnaire délégué, la branche infrastructure de la SNCF. La cogestion ainsi instituée de la maintenance du réseau ferroviaire national s’insère dans un dispositif conventionnel qui n’a pu remédier aux défauts structurels du système et a rigidifié les rapports entre les deux établissements. Ce système entraine un morcellement des responsabilités et des compétences et d’importants coûts de transaction entre RFF et la SNCF.

L’ensemble s’avère préjudiciable à l’efficacité économique de la maintenance : son pilotage reste approximatif, ses coûts demeurent élevés (l’enveloppe annuelle pour le seul entretien représentait 2,14 Mds€ en 2011) et continuent à progresser, tirés notamment par les charges de personnel, tandis que la stagnation du volume d’entretien ne permet pas de faire face aux besoins croissants d’un réseau qui continue de vieillir.

Ce système a néanmoins apporté une amélioration notable par rapport à la situation antérieure par l’émulation de l’entreprise historique.

L’aiguillon qu’a représenté l’action de RFF a permis des évolutions en matière méthodologique (industrialisation de la maintenance, politique d’axes, recherche de nouveaux gains de productivité, développement de la sous-traitance et de la mise en concurrence), même si elles restent encore à développer.

Une « unification des métiers de l’infrastructure », annoncée fin 2011 par la ministre de l’Écologie et du Développement durable, à l’issue des Assises du ferroviaire, serait susceptible de remédier à une part des dysfonctionnements résultant de la difficile cogestion de la maintenance par les deux entreprises, en identifiant un responsable unique chargé de garantir l’optimum global de gestion de l’infrastructure.

À la suite des conclusions alarmantes de l’audit du réseau en 2005, l’État a mis en oeuvre, à partir de 2006, un plan de rénovation du réseau, confirmé en 2008 par le contrat pluriannuel de performance conclu avec RFF. Ce plan a permis une forte progression des investissements de renouvellement depuis 2006, soit 7,3 Mds€ de 2006 à 2011.

Mais les besoins de renouvellement des lignes à grande vitesse, qui bénéficient d’une programmation très rigoureuse, vont inéluctablement monter en puissance dans les années qui viennent, et c’est en définitive le réseau structurant des lignes classiques, qui accuse un retard croissant de rénovation.

Malgré les moyens importants mis en oeuvre, l’actuel plan de rénovation n’est pas en mesure d’enrayer le vieillissement du réseau, dont l’âge moyen continue de croître, notamment sur le réseau structurant classique. La part entre dépenses de renouvellement et dépenses d’entretien tend maintenant à s’équilibrer, mais un effort d’investissement important reste à fournir pour espérer atteindre une décrue durable de ces dernières à compter de 2020.

3. Le projet de SNIT prend acte de la nécessité de donner la priorité à la maintenance, sans abandonner le développement d’infrastructures nouvelles

Ainsi, le projet souligne-t-il que : « l’effort de maintenance sera prioritaire sur le développement des infrastructures, en particulier sur le mode ferroviaire ». Les dépenses de maintenance doivent être considérées comme des dépenses de fonctionnement.

Sur les 245 milliards d’euros d’investissements que le schéma mobilisait sur une durée de vingt à trente ans, 105 milliards étaient consacrés à « l’optimisation des réseaux » (dont 64 % pour le ferroviaire ; 6,5 % pour le fluvial et 27 % pour le routier ; les 2,5 % restant allant au portuaire et à l’aérien) et 140 milliards aux projets de développement.

Il est souhaitable que la commission« Mobilité 21 » établisse une priorité entre ceux-ci, mais maintienne, autant que possible, les investissements consacrés aux réseaux existants, dont la pérennité risque, autrement, d’être compromise.

En effet, pour être durables, les infrastructures de transport doivent bénéficier d’un entretien constant. Le coût de cette maintenance est à comparer avec les effets qu’engendre sa déficience. Ainsi les États-Unis d’Amérique ont-ils été contraints de reconstruire près de 300 000 ponts routiers durant la dernière décennie, faute d’entretien adapté.

Un pont autoroutier s’est effondré le 23 mai 2013 dans l’État de Washington, l’organisme « Transportation for America » avait estimé, en 2011, que 70 000 ponts américains étaient « structurellement déficients ».

UNE OFFRE DE SERVICES DIVERSIFIÉE EN MATIÈRE DE TRANSPORT EST IMPÉRATIVE POUR PRÉVENIR L’AGGRAVATION DE LA FRACTURE TERRITORIALE

Le bilan des trente dernières années est très contrasté en matière d’infrastructures de transport : alors que les grandes voies au départ de Paris ont été considérablement améliorées par le développement des autoroutes (ou leur équivalent dans l’ouest de la France) et, sur l’axe Paris-Marseille, par le TGV, certaines zones peu peuplées du territoire, situées pour l’essentiel dans les régions Centre, Auvergne et Limousin ont été délaissées.

L’équité a été abandonnée au profit de la compétitivité, dans un contexte de renoncement à la politique d’aménagement du territoire« dissoute » dans celle de décentralisation.

Cependant, il n’y a pas de fatalité de déclin pour les territoires à faible densité, pour peu que soient mobilisées à bon escient toutes les possibilités financières disponibles pour renforcer leur desserte par desservices de transport diversifiés. Ceux-ci sont composés d’un indispensable renforcement du réseau routier de proximité, d’une priorité à donner auxlignes ferroviaires à moyenne vitesse, et à grande vitesse pour la partie centrale de la France et, pour le fret et le tourisme, d’une rénovation du réseau fluvial.

A. LE MAINTIEN EN BONNE CONDITION DU RÉSEAU ROUTIER ET AUTOROUTIER EST INDISPENSABLE À L’ACCESSIBILITÉ ET À LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

1. La modernisation du réseau routier de proximité est une priorité à réaliser à un coût raisonnable

Les programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) ont remplacé, en 2009, les contrats de plan État-Régions (CPER). Le ministère de l’Écologie et du Développement durable les présentait ainsi lors de leur création :

« Ces programmes recouvrent l’ensemble des opérations de modernisation du routier non concédé existant, sans créer de nouvelles fonctionnalités, et sans augmenter substantiellement la capacité du réseau. Ils seront établis pour la période 2009-2014 en tenant compte des nouvelles orientations qui se sont dégagées du Grenelle de l’environnement.

Ils traduisent ainsi le schéma national des infrastructures de transport institué par la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement.

Ce schéma fixe les orientations de l’État en matière d’entretien, de modernisation et de développement des réseaux, de réduction des impacts environnementaux et de la consommation des espaces agricoles et naturels, et en matière d’aides apportées aux collectivités territoriales pour le développement de leurs propres réseaux.

Dans ce cadre, les nouvelles priorités en matière de modernisation du réseau routier consistent à :

– améliorer la qualité environnementale des infrastructures et le cadre de vie des riverains (traitements anti-bruit, mise aux normes assainissement, déviations localisées) ;

– optimiser leur fonctionnement en améliorant la fiabilité des temps de parcours pour les usagers, les services proposés (aire de service ou de poids lourds, par exemple) et la sécurité routière ainsi qu’en renforçant l’accessibilité des territoires.

L’optimisation des routes existantes par des aménagements localisés est privilégiée à des augmentations importantes de la capacité ou à la création de nouvelles fonctionnalités. En outre, cette première génération de PDMI devra permettre d’éviter l’arrêt de chantiers déjà en cours et de terminer les travaux déjà engagés lors de précédents contrats. »

Ce programme avait deux objectifs essentiels : remédier au « mitage » des itinéraires en les achevant, et réduire la congestion dans les zones périurbaines.

Vos rapporteurs déplorent que le« renforcement de l’accessibilité des territoires »arrive en dernier lieu des priorités assignées aux PDMI, et que« l’organisation de l’existant » soit privilégié au détriment de « la création de nouvelles fonctionnalités ».

Certes, des arbitrages sont nécessaires en période de tensions budgétaires, mais ces deux éléments conduisent à figer le réseau routier dans sa configuration présente. Rien n’est donc envisagé pour prévenir l’aggravation de la fracture territoriale.

De plus, les conséquences de la crise économique de 2008 ont compromis la réalisation des PDMI. C’est ce que constate notre collègue Ronan Dantec, dans son avis sur le PLF pour 2013 en matière de transports routiers, au nom de la commission du Développement durable (avis n° 153, page 4) :

« Les programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) ont succédé pour la période 2009-2014 au volet routier des contrats de plan État-Régions. Ils ont prévu 6,1 milliards d’euros d’investissements – via l’AFITF – pour les cinq ans sur l’ensemble du réseau national non concédé, dont 3,6 milliards de l’État et 2,5 milliards (40 %) des collectivités locales. Ces fonds ne doivent pas servir à des augmentations de capacité, mais bien à de l’amélioration de service.

À côté des opérations classiques de modernisation du réseau – déviations d’agglomération, aménagements de carrefours -, les PDMI intègrent des aménagements d’ordre environnemental, comme des protections acoustiques, des ouvrages de protection de la ressource en eau ou de protection de la biodiversité.

Leur taux d’avancement varie fortement d’une région à l’autre – de 5% en Alsace à 61 % en région Centre -, du fait de la diversité des opérations programmées ; il s’établit en moyenne à 37 % fin 2012. Surtout, le ministère reconnaît que l’objectif d’achèvement des PDMI pour fin 2014 sera très difficile à tenir et qu’il faudra probablement le décaler dans le temps. »

Le développement des infrastructures routières a reçu 731 millions d’euros pour 2013, constitués uniquement de fonds de concours de l’AFITF et des collectivités territoriales au titre des contrats de plan État-régions (CPER), et des programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI). L’objectif explicite de l’État est de limiter strictement l’augmentation de capacité du réseau routier au traitement des points de congestion et des problèmes de sécurité.

Le transport routier n’est donc pas concurrent, mais complémentaire du réseau ferroviaire.

Ce dernier présente de nombreux avantages, notamment la possibilité d’accomplir de longues distances dans un temps réduit pour les lignes TGV. Mais il laisse subsister un besoin de déplacements individuels par la route pour relier la gare d’arrivée et la destination finale.

De plus, la population située en zone rurale ne peut se voir proposer à un coût acceptable pour la collectivité, État ou collectivités territoriales, des transports publics couvrant l’ensemble de ses besoins de mobilité.

Le véhicule individuel est donc indispensable, et le réseau routier est le seul à pouvoir assurer le« désenclavement primaire » des régions les plus éloignées des grands axes. La route est donc un mode de transport souple et économique, qu’il ne faut pas délaisser.

2. Le réseau autoroutier concédé doit être plus accessible, notamment en zones périurbaine et rurale

Le péage est la clé de voûte du système autoroutier français, mais n’est pas une spécificité de notre pays.

En 1995, sur 40 000 km d’autoroutes européennes en service, 40 % (16 114 km) étaient à péage. Les usagers s’en acquittent en songeant qu’il vaut mieux « des autoroutes à péage plutôt que pas d’autoroutes du tout ».

Le péage est lié à la difficulté pour l’État à financer le réseau autoroutier sur fonds budgétaires, et a été justifié comme la contrepartie d’un service rendu par la société concessionnaire : en effet, l’automobiliste circule plus rapidement et dans de meilleures conditions de confort et de sécurité sur une autoroute que sur le réseau traditionnel. Prélevé sur le bénéficiaire direct de l’infrastructure, le péage paraît équitable. De plus, il a l’avantage de faire participer les automobilistes étrangers à la construction et à l’entretien des artères qu’ils empruntent ; le péage est donc également une source de devises pour la France.

Si la notion de service rendu est toujours la principale justification du péage, d’autres considérations sont venues s’y ajouter au fil du temps. Les premières autoroutes, correspondant aux itinéraires les plus chargés, ont permis aux concessionnaires de dégager, au bout d’un certain temps, des bénéfices. Ces bénéfices auraient dû profiter aux usagers sous la forme de réduction, puis de disparition des péages, mais l’État a invité les concessionnaires à utiliser ces ressources pour financer de nouvelles autoroutes à faible trafic et donc initialement déficitaires, au nom d’un nécessaire aménagement du territoire. De plus, il leur a aussi recommandé d’harmoniser le taux des péages pour éviter que les sections récentes ou celles ayant nécessité des ouvrages d’art coûteux ne soient pénalisées par des tarifs élevés.

Une partie des péages alimente le budget de l’État : en effet, les sociétés concessionnaires paient la TVA sur leurs investissements et leurs dépenses d’entretien. Elles versent également la taxe professionnelle dans chacune des communes qu’elles traversent. En outre, depuis 1989, les concessionnaires contribuent au fonctionnement des prestations de service de la gendarmerie sur leur réseau. Enfin, une nouvelle contribution est apparue avec la loi du 4 février 1995 sur l’aménagement du territoire, qui a institué le Fonds d’Investissement des Transports Terrestres et des Voies Navigables, alimenté en partie par une taxe sur les péages (2 centimes par km en 1995) ; la création de ce fonds étend donc l’affectation des recettes de péage au financement d’infrastructures autres que les autoroutes concédées.

Le niveau des péages n’est pas libre ; il est fixé par l’État, sur proposition des sociétés concessionnaires.

Ce mode de financement par concessions, qui ont été conclues pour la plupart jusqu’en 2028-2030, a eu le mérite de ne pas solliciter les finances publiques pour équiper notre pays d’un réseau d’autoroutes long de 8 890 km en 2012 (premier rang en Europe), dont le taux d’accidentalité est cinq fois inférieur au reste du réseau routier (143 morts en 2012).

Les sociétés concessionnaires investissent environ 2 milliards d’euros par an pour leur entretien.

suite du rapport

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS

1. Donner la priorité aux investissements portant sur la modernisation des infrastructures existantes, qu’elles soient routières, ferroviaires ou fluviales.

2. Concentrer les financements attribués aux projets nouveaux sur le désenclavement des territoires isolés, et sur l’égal accès aux infrastructures modernes. C’est le cas, parmi d’autres, de la LGV Paris-Orléans-Clermont-Ferrand, ou de la modernisation de la RN 122, transversale qui relie Figeac à Massiac.

3. Définir, pour les programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), des axes prioritaires comparables à ceux des trains d’équilibre des territoires pour le réseau ferré.

4. Renforcer les capacités des trains d’équilibre des territoires par la mise en oeuvre de lignes de qualité et confortables à moyenne vitesse.

5. Maintenir un financement étatique au niveau actuel, soit 2 milliards d’euros par an pour l’AFITF, sans que l’écotaxe poids lourds s’y substitue, car cette ressource est trop incertaine. Seules les ressources pérennes apportées par l’État permettront à l’AFITF de poursuivre sa vaste tâche de modernisation du réseau routier.

6. Expérimenter des modes de financement diversifiés, alternatifs aux ressources publiques, qu’elles viennent de l’État ou des collectivités territoriales. Ces expérimentations s’appuieront sur les exemples étrangers (péages urbains) et français (partenariats public/privé) pour en faire une utilisation pertinente : renforcement des transports ferrés desservant les périphéries éloignées par les ressources issues des péages urbains, projets de grande envergure pour les PPP.

7. Achever les sections routières en cours d’élaboration avant d’en ouvrir de nouvelles : exemples parmi d’autres, la modernisation de la RN34 reliant Pau à Saragosse, entreprise dans les années 2000, qui n’est toujours pas achevée, pas plus que l’autoroute A51 entre Grenoble et Sisteron, commencée en 1995, et toujours dépourvue de son tronçon central.

8. Clarifier le rôle dévolu aux collectivités territoriales dans les futurs contrats de progrès État-régions, élaborés à partir de 2014, et accompagner le mécanisme de cofinancements

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