GEOGRAPHIE HUMAINE

Japon : Quitte ou double pour des réformes ambitieuses censées réveiller l’Archipel

LES ECHOS

BY Yann Rousseau, Correspondant à Tokyo

Shinzo Abe jouit d’une fenêtre d’opportunité unique pour mettre en oeuvre les réformes ambitieuses censées réveiller l’Archipel. S’il manque sa cible, le pays se retrouvera en grande difficulté. Plus endetté. Plus dépassé. Et plus divisé que jamais.

Françoise Ménager pour « Les Echos « 

Françoise Ménager pour « Les Echos «

Au milieu du XVI e siècle, Mori Motonari, un grand seigneur japonais de la région de Chugoku, près d’Hiroshima, convoqua ses trois fils pour les entretenir de l’avenir de leur clan, alors agressé par de puissants voisins. Il remit à chacun une flèche. Et, en quelques gestes, leur montra que si chaque pointe, prise seule, pouvait être pliée et cassée, il était impossible de les infléchir ou de les briser, une fois qu’elles étaient réunies ensemble. Plus de quatre siècles plus tard, la leçon d’unité et de cohérence aura été retenue par Shinzo Abe, un jeune élève brillant, né dans la région, et devenu depuis Premier ministre du Japon. C’est autour de ce concept des « trois flèches » que le chef du gouvernement a bâti son projet de réveil de la croissance japonaise. Et à entendre le choeur des analystes occidentaux, la vieille parabole nippone devrait être enseignée dans toutes les universités du monde tant elle porterait, en elle, l’espoir miraculeux du renouveau économique d’un archipel donné pour mort il y a encore six mois.

Depuis son arrivée au pouvoir fin décembre, Shinzo Abe a sorti une à une les flèches de son carquois, que les analystes ont depuis rebaptisé « Abenomics ». En janvier, il a d’abord fait voter un plan de relance de 10.300 milliards de yens destiné notamment à financer des grands chantiers publics. En avril, c’est la Banque centrale japonaise (BoJ) qui a, sous la pression de l’exécutif, tiré la deuxième flèche. Cherchant à faire sortir le pays de la déflation, elle a enclenché un spectaculaire programme d’assouplissement quantitatif, qui doit, en théorie, permettre de générer une inflation d’au moins 2 % d’ici à deux ans.

Cette semaine, Shinzo Abe va présenter sa troisième et ultime flèche. Une « stratégie de croissance » qui doit, à plus long terme, prendre le relais des deux premières pointes. Dévoilant depuis quelques jours ces pistes de réformes structurelles, le gouvernement se propose de contraindre le pays à s’ouvrir plus au commerce international. Tokyo promet ainsi de participer à plusieurs accords de libre-échange. Le gouvernement souhaite aussi favoriser l’intégration des femmes sur le marché du travail, dont elles sont actuellement largement exclues. Shinzo Abe compte encore déréguler certains secteurs pour stimuler la concurrence et devrait cibler les politiques de soutien sur les secteurs d’avenir comme la robotique ou la biotechnologie.

Sur le papier, la cohérence des trois temps des Abenomics semble séduisante. Dans la réalité, son succès apparaît beaucoup plus délicat et les économistes occidentaux devraient se montrer un peu plus mesurés dans leur enthousiasme. Les analystes les plus optimistes aiment à souligner que le PIB réel a progressé de 3,5 %, en rythme annuel, au premier trimestre, en omettant de préciser que le PIB nominal n’a lui, en fait, progressé que de 1,5 %.

Décortiquant les Abenomics, tous les experts admettent que la première flèche va effectivement relancer l’activité ponctuellement, même si elle va dangereusement alimenter une dette publique qui flirte déjà avec les 240 % du PIB. Le second trait fait beaucoup moins l’unanimité à Tokyo. Les analystes louent le projet de sortie de la déflation, mais redoutent que l’assouplissement quantitatif ne déséquilibre plusieurs fondamentaux du pays. Déjà, ils pointent la hausse des taux des obligations d’Etat japonaises. Le taux à dix ans a dépassé, en mai, à plusieurs reprises le seuil de 1 % alors qu’il n’était que de 0,315 %, le 5 avril dernier, au lendemain des annonces de la BoJ. L’institution peine à jongler entre deux objectifs contradictoires. Elle affirme vouloir générer de l’inflation tout en promettant de maintenir à un niveau très bas le rendement des obligations d’Etat. Mais l’inflation incite justement les détenteurs de titres à taux faible à vendre en masse pour se protéger contre une dépréciation de leurs actifs. Sans clarification, cette hausse des taux pourrait s’accélérer et renchérirait de manière dramatique les coûts d’emprunt d’un Etat nippon déjà asphyxié. Le « génie » des Abenomics serait alors compromis.

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