GEOGRAPHIE HUMAINE

Périurbain : Comment habiter aux marges des villes ?

SCIENCES HUMAINES

By Christophe Rymarski

 

Aero-roche Blanche

 

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Les 24 et 25 janvier derniers se tenait le Forum des vies mobiles, avec pour thème central « Des mobilités durables dans le périurbain, est-ce possible ? ». Avant de répondre à la question, il fallut d’abord définir ce que pouvait bien être le périurbain.

Entre ville et campagne, en bordure des banlieues serrées autour des centres urbains, et s’étalant jusqu’aux villages ruraux, le périurbain est souvent présenté comme le lieu de la dispersion et de l’émiettement du paysage, gros consommateur d’énergie et d’espaces agricoles et naturels. Un espace exclusivement dédié à la voiture, où l’usage des transports collectifs est inadapté.

En ces temps où le développement durable est le maître mot de tout projet, le périurbain a (très) mauvaise presse. C’est à cette mauvaise image que voulaient s’attaquer les organisateurs du Forum des vies mobiles. En posant la question des mobilités durables dans le périurbain, l’ambition était de montrer que ce territoire « pourrait être une autre manière pour les sociétés contemporaines de se mettre en espace, non pas forcément en opposition avec la ville compacte, mais dans une cohabitation, une complémentarité. Cet espace apparaîtrait alors moins néfaste qu’on le dit. Peut-être même pourrait-il devenir un lieu d’adaptabilité aux crises économique, énergétique et climatique du XXIe siècle – en quelque sorte, un “alterurbain” durable. »

Une relégation subie ?

Mais avant d’en arriver là, les discussions organisées dans le très beau cadre de la Maison rouge, boulevard de la Bastille à Paris, ont été nombreuses et parfois passionnées. Notamment lorsque le géographe Lionel Rougé invita chacun à changer de lunettes pour regarder et comprendre le périurbain, et à cesser de véhiculer nombre de préjugés sur cet espace qu’habite une personne sur quatre et qui concerne une commune sur trois. Le premier de ces préjugés concerne les habitants, sorte de troupeau humain homogène, rejetés de la ville centre en raison des prix de l’immobilier, qui vivent repliés sur eux-mêmes, avec des relations sociales appauvries et aux mobilités pendulaires. Entendez par là qu’ils partent tôt le matin travailler à la ville centre et qu’ils n’en reviennent que tard le soir, le week-end étant consacré à leur maison et leur jardin. En bref, un périurbain condamné à la monoactivité : zone dortoir pour individus tristes.

Ce stéréotype, que l’on retrouve notamment dans certaines séries télé, comme a pu le montrer Ioanis Deroide (Les Séries TV. Mondes d’hier et d’aujourd’hui, 2011), est largement privilégié par la presse qui dénonce, en outre, l’aberration écologique de l’émiettement du territoire et la vulnérabilité énergétique qui fragilise la population. Le périurbain serait ainsi une zone de relégation subie. Pourtant, nous rappelait l’historienne Annie Fourcaut, depuis le début, les populations périurbaines sont heureuses de vivre dans ces zones. Partant de l’exemple de Goussainville, elle montra comment pendant l’entre-deux-guerres, faisant suite au développement des chemins de fer, ces zones, construites de manière anarchique et surtout constituées d’autoconstructions faites de bric et de broc au gré des opportunités de ventes de parcelles, servirent, notamment grâce aux potagers individuels et aux solidarités locales, d’amortisseur à la crise des années 1930. Mais ces zones « scandaleuses » étaient aussi perçues comme hors de contrôle et surtout très onéreuses du fait de l’obligation d’étendre les infrastructures minimales (routes, Poste, eau, électricité, etc.). D’où, dès les années 1950, le choix des grands ensembles et de la massification de l’habitat.

Le périurbain nous était aussi présenté comme le résultat des villes centres, sorte de « centrifugeuses à pauvres » selon l’expression de l’économiste Yves Crozet. Il rappelait combien les chiffres sont têtus, et qu’en termes de vulnérabilité énergétique, par exemple, les choses se sont améliorées. La part du coût de l’essence dans le budget des ménages, malgré les fortes augmentations des carburants, a en fait diminué depuis quarante ans. En 1973, une heure de smic permettait d’acheter trois litres d’essence, depuis 1990, six litres.

Des chiffres, des idées, des concepts, des bons mots. Loin de leurs laboratoires, les chercheurs en colloque profitent de la rencontre avec leurs pairs. C’est un spectacle. Les uns et les autres mettent en scène leurs idées, plaisantent, lancent des mots et, à fleurets mouchetés, se jaugent.

À ce moment du récit, et plus particulièrement de la journée, nous étions coincés sur le périphérique de ces journées des vies mobiles, incapables d’atteindre le cœur du sujet. Et nous y sommes restés un petit moment : un bouchon d’idées. En aparté, au moment des pauses, quelques-uns se demandaient : « Où va-t-on ? Finalement, c’est quoi le périurbain ? » Dans les nombreux et riches échanges avec la salle, le doute lui aussi se faisait jour, à tel point qu’un urbaniste en vint même à affirmer que le périurbain n’était pas un bon objet de recherche, que l’on perdait son temps à vouloir le définir. Puisque le périurbain semblait indéfinissable, autant se concentrer sur les différentes formes de mobilité, l’un des autres axes de ces rencontres.

Étions-nous dans une impasse ? Il était déjà 15 h 30. L’heure de l’intervention du géographe Rodolphe Dodier (3). S’il n’apparut tout de même pas comme le Zorro de ces journées (on imagine mal Zorro blond vêtu d’un grand pull bleu, à l’apparence un peu lunaire), il permit de réaliser la quadrature du cercle, réunissant enfin mobilité et périurbain. Les choses apparaissaient clairement, le périurbain n’était donc pas un simple espace géographique relié à une ville centre et à quelques pôles secondaires, mais aussi et surtout différentes manières d’habiter cet espace et de s’y déplacer.

 

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Après de nombreuses enquêtes de terrains, permettant de comprendre la réalité de ce que peut être la complexité du périurbain, il propose une typologie en trois grands groupes, qui se subdivise chacun en trois.

◊ 1 – Les souffrants.

Marqués par une constante, une forte présence à l’intérieur du domicile, ils représenteraient 25 % des habitants du périurbain et se déclineraient en trois catégories.

• Les reclus. Ils ne sortent pratiquement pas de chez eux. Les personnes les plus âgées fournissent le gros des effectifs de ce groupe, mais aussi les personnes handicapées, notamment celles présentant de légers handi­caps mentaux. La présence du monde extérieur est essentiellement permise par la télévision, les visites des services sociaux et de quelques membres de la famille proche.

• Le replié. Là aussi la vie s’organise autour du logement. Mais comme le replié est aussi un actif, la seule raison de mobilité est majoritairement l’aller-retour pour relier le lieu de travail. Pour les mobilités utilitaires (courses, démarches administratives…), les lieux étant en général de faible urbanité, l’individu peut rester anonyme. Les relations sociales restent très peu nombreuses et il y a peu d’identification au village périurbain. Selon le chercheur, il s’agit d’un profil psychologique spécifique plutôt que d’une catégorie sociale particulière.

• Les captifs. Cela concerne prioritairement des ménages d’origine urbaine et de condition modeste, attirés par le modèle résidentiel du pavillon à la campagne, qui se retrouvent en majorité dans les lotissements périurbains les plus lointains. Financièrement sur le fil du rasoir en raison même du projet immobilier, ils choisissent souvent de renoncer à l’emploi urbain de la femme en raison du coût des transports et des frais de garde des enfants. Les captifs sont en fait bien souvent des captives assignées à résidence. Si un déménagement n’intervient pas, l’insatisfaction génère des problèmes familiaux, et de nombreux divorces. Parmi les captifs, l’on trouve aussi de grands adolescents aspirant à la vie urbaine, mais sans moyen de transport autonome.

◊ 2 – Les équilibrés.

Ils vivent assez bien leur condition périurbaine (environ 44 % de la population), quitte à faire quelques compromis avec leurs aspirations de mobilités plus larges.

• Le villageois. Il se distingue par un fort attachement au village et aux sociabilités locales. Si le rapport au logement est là aussi intense, les relations sociales de voisinage sont approfondies. Parfois présents dans les conseils municipaux, ils sont dans tous les cas des piliers de la vie sociale ordinaire. Très centré sur le petit bassin périurbain, leur rapport à la ville est beaucoup plus distancié, voire occasionnel pour autre chose que le travail. C’est l’archétype le plus fréquent des espaces périurbains.

• Le navetteur. Il jongle sans problème entre les différents lieux : le logement, le village et la ville dans son ensemble. Son identité spatiale est fondée sur la mobilité quotidienne. Contrairement aux types précédents, il organise ses trajets en boucles à partir de son travail, et se programme des déplacements urbains essentiellement en voiture, contrairement aux autres qui privilégient les transports en commun. Pour les navetteurs, il y a un temps pour la ville, généralement la semaine en incluant les soirées, et un temps pour le local qui recouvre le week-end. Ce profil caractérise, selon le chercheur, toutes les catégories d’actifs, « des cadres jusqu’aux catégories populaires solvables » en passant par les collégiens et lycéens.

• Le périphérique. À la différence du navetteur, il a une fréquentation assidue des pôles périphériques. L’utilisation des zones commerciales peut être quotidienne. Parce que son emploi peut être localisé dans ces espaces, mais aussi parce que de plus en plus de centres commerciaux sont non seulement des lieux de commerce mais encore des lieux de détente et de loisir. Les périphériques se retrouvent ainsi dans les multiplex, les bowlings, les bars, etc. Il se caractérise par une fréquentation au logement beaucoup plus faible, tandis que le village péri­urbain reste un espace dortoir. Cela concerne essentiellement les jeunes ainsi que les grands ados motorisés.

◊ 3 – Les métapolitains.

Ils représentent 31 % de la population et renvoient à l’image de la ville métapolitaine conceptualisée par le géographe François Ascher, décrivant des formes urbaines basées sur la mobilité et la fluidité.

• L’hypermobile. Sa présence au logement est faible car il est toujours pris dans des flux. Il travaille en centre-ville mais est sans cesse en interaction professionnelle avec des pôles secondaires. Partant régulièrement en week-end, abonné aux grands rassemblements festifs où qu’ils soient, les vacances sont l’occasion de partir au ski, de visiter de grandes villes européennes ou quelques plages exotiques. Son mode de transport est indifféremment le train, l’avion, la voiture. Il fréquente l’espace local pour des activités culturelles et des commerces de proximité, mais les liens sociaux sont distanciés. Les liens qui comptent sont plutôt des relations à longue distance avec des amis ou la famille avec lesquels ils communiquent assidûment en attendant la prochaine visite. Leur distance au local n’est pas un problème tant ils affectent à la mobilité des valeurs positives.

• L’absent. Parmi les figures contemporaines, l’absent, à bien des égards, se rapproche du replié et peut partager le même type de « souffrance ». Dans ce cas, il s’agit du salarié travaillant dans une autre métropole, déléguant à son conjoint les relations de proximité. L’espace social est très peu investi, soit parce qu’il fait des allers-retours quotidiens avec beaucoup d’heures de transport, soit parce qu’il reste la semaine loin du domicile, vivant dans un studio proche de son lieu de travail. Il est coincé entre l’envie de vivre près de son conjoint et la nécessité de conserver son emploi.

En revanche, la figure de l’absent correspond à un épanouissement lorsqu’il s’agit d’étudiants qui investissent une nouvelle ville et ne reviennent au domicile parental que le week-end.

• Le multicompétent. Parfait villageois dans le village périurbain, il est aussi parfait urbain dans les centres ville, et parfait périphérique lorsqu’il fréquente les grands centres commerciaux, sans oublier son ancrage au logement symbole de la famille. Le multicompétent connaît les ressources et les codes sociaux qu’il peut mobiliser en fonction de l’endroit où il se trouve. Sa mobilité est fonction de ses besoins et il jongle avec aisance entre les différents niveaux.

Objectif durabilité

Au terme de cette présentation, l’image des habitants du périurbain comme groupe homogène était définitivement enterrée. Surgissait au contraire la complexité de relations qui pouvaient lier les différents habitants de ces espaces finalement très peu connus. On aurait pu se satisfaire de la richesse de cette première journée, mais restait une question. Si l’on voyait bien les articulations possibles entre mobilité et périurbain, qu’en était-il de la durabilité ? Le périurbain était-il compatible avec le développement durable ?

Malgré une journée consacrée à ce sujet, la durabilité s’est plus apparentée à un vœu pieu qu’à une réalité en marche. Beaucoup d’interventions, souvent passionnantes, ont permis d’imaginer ce que devrait être un périurbain durable : l’urbaniste Yvon Le Gall anticipait sur ce que pourraient devenir les Pays-de-La-Loire si l’on suivait ses recommandations et sa vision d’un réseau routier permettant la cohabitation harmonieuse des vélos, de l’automobile roulant au maximum à 70 km/h et des piétons ; le cabinet Carbone 4 mettait en avant « l’énorme » potentiel de l’agriculture périurbaine, ainsi que les grandes surfaces de toiture pouvant supporter des panneaux solaires ; Jean-Pierre Orfeuil traçait des pistes pour des mobilités durables.

Seule certitude : on ne pourra plus faire comme avant. Au moment où l’on commençait à se passionner pour l’augmentation du nombre de pistes cyclables et pour la place du vélo comme moyen de transport, il y eut un éclat de rire. Celui du sociologue Dominique Bouchet, un enseignant à l’université du Sud-Danemark plutôt goguenard, qui doucha d’une phrase l’enthousiasme : « Vous ne mettrez jamais un Danois sur une de vos pistes cyclables, cela ressemble trop à une invitation au suicide. »

Bref, la durabilité ne se conjugue pour le moment pas en français, et là, un grand chantier reste ouvert pour le Forum des vies mobiles et les chercheurs qui y sont associés.

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