ARPENTEURS DE LA GEOGRAPHIE

Polar Pod : la bouée de Jean-Louis Etienne dérivera sur le courant circumpolaire antarctique

LE MONDE
by Vahé Ter Minassian
Le Polar Pod: une bouée laboratoire haute de 125 mètres.
Le Polar Pod: une bouée laboratoire haute de 125 mètres. | jeanlouisetienne.com

Le vaisseau pourrait sortir d’un roman de Jules Verne. Que l’on imagine une bouée-laboratoire, haute de 125 mètres, capable de dériver durant des mois à la même latitude que le cap Horn, en se jouant, pour le confort de ses sept passagers, des fortes houles et des tempêtes. Et on aura une idée du futur « Polar Pod », le curieux engin nautique sur lequel Jean-Louis Etienne embarquera pour sa prochaine expédition. Celle-ci va se dérouler durant plus d’une année dans l’océan Austral. « Elle va consister, révèle l’explorateur, à réaliser un tour du monde inédit, en se laissant porter, d’ouest en est, par le courant circumpolaire antarctique, quiforme une boucle au large du continent blanc. »

Outre son caractère inédit et éducatif, la mission a un objectif scientifique :recueillir des données sur cette vaste région dont les eaux froides absorbent 40 % des émissions de gaz carbonique d’origine humaine. Et qui, a-t-on réalisé voilà une quinzaine d’années seulement, joue un rôle moteur dans la circulation océanique mondiale.

UN VENT D’EXCITATION

Conçu depuis deux ans par le bureau d’études Ship Studio, à Lorient, le Polar Podn’atteindra les eaux de l’océan Austral, au mieux, qu’au début de l’année 2015. Mais la perspective de sa construction prochaine en France – elle pourrait débuter au second semestre de cette année – fait déjà souffler un vent d’excitation parmi les spécialistes des régions polaires : biologistes, bioacousticiens, experts en observation spatiale et océanographes. Plusieurs de leurs institutions viennent designer d’élogieuses lettres d’intérêt incitant leurs équipes à proposer des projets à même d’être mis en oeuvre sur le Polar Pod, dont la fabrication sera financée par des fonds privés.

« C’est que l’océan Austral où va se rendre Jean-Louis Etienne est, somme toute, assez mal connu », explique Patrick Farcy, de la direction scientifique de l’Ifremer. Située en dehors des routes commerciales, la fameuse bande des « cinquantièmes hurlants » n’a pas été explorée de façon systématique par les navires océanographiques, qui n’y ont effectué que de courtes campagnes, durant l’été austral, pour des raisons de coût. Les vents de force 5 et les houles de 4 à 5 mètres qui y sévissent même par temps calme soumettent les bateaux à une agitation permanente, ce qui complique le travail des chercheurs. Quant aux données des flotteurs Argo et celles des satellites, elles sont parcellaires, pour les unes, ou de faible résolution, souvent limitées à la surface et manquant d’une calibration régulière au sol pour les autres.

UNE IMMENSE POMPE À CARBONE

D’où l’engouement suscité par le Polar Pod parmi les spécialistes de cette région, dont Sabrina Speich, professeure à l’Université de Bretagne occidentale, à Brest, rappelle qu’elle est « l’une des plus vastes zones d’échanges entre l’atmosphère et l’océan de la planète ». En plongeant dans les abysses, les eaux froides et chargées en sel de l’océan Austral entretiennent une immense pompe à carbone et contribuent à entraîner la « circulation thermohaline », le phénomène responsable du déplacement des masses d’eau à l’échelle mondiale. La station scientifique dérivante de Jean-Louis Etienne pourrait ainsi permettre d’étudier pour la première fois ce mécanisme tout au long de l’année, de jour comme de nuit. Tout en observant certains tourbillons, dits à « submésoéchelle », dont peinent à rendrecompte les modèles actuels !

Inspiré des bouées « Bohra », proposées dans les années 1960 par le commandant Cousteau, et surtout du FLIP, qui, à 51 ans, est le plus vieux vaisseau de recherche de l’US Navy encore opérationnel, le Polar Pod se veut une machine moderne. Bénéficiant des progrès réalisés dans les domaines de la simulation et des « treillis tubulaires » employés pour faire flotter les plates-formes pétrolières de type SPAR, l’engin de 800 tonnes (en charge) et de 125 mètres de long a été conçu pour être tracté jusqu’à des hauts fonds à l’horizontale, puis relevé à la verticale en remplissant d’eau les ballasts.

Les 75 mètres de sa partie immergée lui permettront de flotter à la manière d’un iceberg, tandis que sa faible surface de flottaison devrait lui garantir une certaine insensibilité à la houle. « De plus, grâce à des flotteurs positionnés à 15 mètres de profondeur, le Polar Pod pourra résister aux violentes tempêtes, précise Laurent Mermier, du Ship Studio. Face à des vagues de 20 mètres et plus, il se mettra àosciller comme un bouchon. »

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