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Jérôme Beilin : « Il faut de toute urgence sauver l’Arctique ! »

LE MONDE

 

Photo JérômeDR

 

Alors que l’Arctique subit les premiers impacts du réchauffement climatique et après la conférence de Doha sur le climat, dont les résultats ont été plus que modestes, nous appelons à faire de la région le précurseur d’une nouvelle gouvernance internationale des hautes mers.

La fonte de la banquise arctique a atteint un nouveau record cet été et s’accélère à un rythme alarmant, si bien qu’elle pourrait avoir totalement disparu en été d’ici quatre ans, comme l’a récemment annoncé Peter Wadhams, le directeur du département de physique de l’océan Polaire à l’université de Cambridge. Cette fonte rapide de la banquise provoque actuellement une véritable course à l’Arctique entre Etats riverains du Grand Nord, sociétés d’exploration ou d’exploitation et acteurs du trafic maritime international.

L’Arctique représente en effet le nouvel eldorado à conquérir, la dernière frontière, tant les ressources qui sont présentes dans la région sont nombreuses. Car selon les dernières estimations de l’USGS (United States Geological Survey), l’Arctique pourrait représenter plus de 20 % des réserves mondiales en pétrole et en gaz et serait également riche en autres ressources naturelles, minières et halieutiques notamment.

La fonte rapide de la banquise ouvre également la voie à une augmentation des échanges commerciaux en raison de l’ouverture de nouvelles voies maritimes bien plus courtes que les routes commerciales traditionnelles (passage du Nord-Ouest et passage du Nord-Est), qui à terme pourraient également concentrer plus de 20 % du trafic maritime international.

Nombreuses sont les sociétés pétrolières et minières qui se préparent à exploiterles ressources de l’Arctique. Gazprom, dont les activités en Arctique ont été largement médiatisées après les alertes lancées par de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) et les actions symboliques de Greenpeace, a déjà déployé une plate-forme dans la région et sera probablement la première compagnie à commercialiser le pétrole arctique exploité en offshore. D’autres compagnies comme Shell ont déjà investi massivement afin de préparer des opérations de forage en Arctique.

Cette perspective d’une exploitation prochaine des ressources de la région pose de nombreux risques environnementaux et humains. Les risques de pollution sont immenses dans l’un des écosystèmes les plus importants pour l’équilibre écologique de notre planète. Par exemple, les moyens de lutte contre les marées noires existants sont totalement inadaptés pour faire face à une pollution massive. Dans ce contexte, les débats qui ont lieu actuellement entre Etats autour d’une extension des Zones économiques exclusives (ZEE) aux confins de la plaque continentale posent question.

On a ainsi vu certains pays proposer une rétribution de 5 % à 7 % à un « fonds vert » sur le produit des activités générés en ZEE en échange d’une extension de ces Zones économiques exclusives à 250 voire 300 milles nautiques (463 km à 555 km).

Cette idée peut paraître séduisante alors que les fonds verts et financements innovants peinent à se mettre en oeuvre. Elle ouvre de nouvelles perspectives sur une rétribution des activités prospectives vers la préservation de la biodiversité. Mais la gouvernance des océans a besoin d’un cadre plus général, et notamment de la réaffirmation des principes de prévention, de précaution et de pollueur payeur, et leur transcription en des mécanismes transparents et immédiatement opérationnels.

Géographiquement et géopolitiquement, la situation est complexe dans le Grand Nord : les mers arctiques sont situées à la rencontre de nombreuses plaques continentales, entre lesquelles se forment les courants qui régulent l’atmosphère terrestre, mais au fond desquelles se créent les réactions chimiques qui produisent de nombreux métaux rares.

L’enjeu se trouve tant sur la colonne d’eau que sur les fonds marins. Et il est également en surface, la fonte des glaces entraînant un réfléchissement inférieur des rayons solaires et accélérant donc le réchauffement climatique.

Comment transcrire cela en principes de gouvernance ? Nous pensons qu’il faut élargir les compétences de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) tout en lui donnant les moyens opérationnels d’assurer son action. Mais nous pensons aussi qu’il faut également instaurer une surveillance scientifique accrue des milieux et de l’impact de l’évolution des activités humaines.

Nous proposons par ailleurs de mettre en place un statut juridique spécifique pour les hautes mers qui soit applicable en priorité à l’Arctique, opposable, et qui permette de procéder à des recours internationaux. Ceci pourrait se faire en intégrant le regroupement des différentes agences et organismes existants, dans la dynamique des conférences de Nagoya, d’Hyderabad, de Rio + 20 et de l’Oceans Compact.

Cette coordination des agences existantes pourrait être effectuée sous l’égide de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Mais si la Convention de Montego Bay a mis près de vingt ans à entrer en vigueur, il faudrait que ce statut juridique opposable soit mis en place dans les cinq prochaines années.

Nous suggérons ensuite la création d’aires marines protégées en Arctique, en s’appuyant sur les décisions prises lors de la conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique de Nagoya de 2010, pendant laquelle un objectif de classer en aires marines protégées 10 % de zones marines et côtières a été adopté.

Finalement, nous agissons pour qu’émerge une mobilisation conjointe des citoyens et des acteurs territoriaux, ici comme en Arctique, associée à une mobilisation des réseaux d’ONG engagées dans un objectif commun de préserver les ressources de la région.

Poser les bases d’un accord mondial ambitieux sur le climat à Doha pour 2015 est aussi primordial pour freiner le réchauffement climatique et préserver l’écosystème arctique.

Jérôme Beilin, directeur des programmes aux Ateliers de la terre, Nicolas Imbert, directeur exécutif de Green Cross France et territoires

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