COUPS DE GUEULE

Bangladesh : Stupeur et tremblements chez les bouddhistes

THE DAILY STAR
By Anika Hossain
Après les attaques du 29 septembre contre les temples, les monastères et les foyers des communautés bouddhistes de Ramu, Ukhia, Patiya et Teknaf.AFP
Le 29 septembre, plusieurs temples bouddhistes étaient saccagés par des vandales dans le sud du pays. Des artistes témoignent de l’immense perte culturelle qui en résulte et des nouveaux clivages qui traversent le pays.

Nous vivons dans un pays essentiellement réputé dans le monde pour ses défauts. Nous sommes célèbres pour notre degré de corruption, nos errements politiques et nos conditions de vie insupportables. Nous possédons très peu de choses dont nous pouvons être fiers, comme la plus longue plage du monde ou la plus vaste mangrove du monde, deux trésors mal entretenus et qui se dégradent.

Désormais, il semble que les rares legs culturels et historiques d’importance ayant réussi à survivre aux ravages du temps soient la cible des Bangladais eux-mêmes. Les attaques du 29 septembre contre les temples, les monastères et les foyers des communautés bouddhistes de Ramu, Ukhia, Patiya et Teknaf [dans le sud-est du pays, non loin de la Birmanie] n’ont pas seulement rompu des liens et détruit la confiance d’une des minorités les plus pacifiques et les plus inoffensives du pays, elles ont également oblitéré toute une période de notre histoire. La communauté bouddhiste ne s’est pas encore remise du choc provoqué par ces actes honteux et qui représentent une perte colossale pour notre pays. De précieux objets réduits en miettes reposent aujourd’hui sous les dé­com­bres fumants de maisons et de lieux de culte bouddhistes.

“Des temples et des statues en bois de santal vieux de près de 300 ans ont été détruits”, déplore Kanak Chapa Chakma, peintre renommée et figure importante de la communauté bouddhiste. “Vous savez qu’on ne trouve plus de santal au Bangladesh et qu’il est très rare dans le monde ? Cette essence dégage une odeur merveilleuse et unique, difficile à oublier. Des manuscrits religieux vieux de deux ou trois siècles ont aussi été brûlés. On pourra dépenser des millions pour reconstruire les temples et les statues, mais ces manuscrits ne pourront jamais être remplacés. En fait, rien ne sera plus jamais comme avant. C’est une partie de notre héritage, de nos traditions que nous avons perdu. Nous n’avons jamais vu de telles violences depuis la guerre d’indépendance [en 1971, le Pakistan-Oriental a fait sécession du Pakistan-Occidental et est devenu, à l’issue d’un conflit sanglant, le Bangladesh].”

Une harmonie perdue

Kanak Chapa Chakma a grandi à Ran­gamati, une ville où musulmans, hindous, chrétiens et bouddhistes vivaient en harmonie.“Mais la religion est revenue s’immiscer entre nous.” Khalid Mahmood Mithu, artiste et réalisateur de film indépendant, s’est rendu sur le site et raconte ce qu’il a vu. “Le slogan des vandales était‘Nara-e takbir allahu akbar’ [cri traditionnel musulman qui peut se traduire par ‘Crions : Dieu est grand’] et les bouddhas décapités sont bien le symbole de leur joie”, explique-t-il.

Parmi les manuscrits brûlés se trouvait le précieux Taal Pata Puthi(transcrit sur des feuilles de palmier). La totalité des ouvrages religieux de la communauté de Ramu a été détruite, ainsi que sa bibliothèque. “On pourrait croire que les statues ont été ciblées parce que l’islam interdit le culte des idoles. Mais en fait les statues en or n’ont pas été détruites, elles ont été volées. Ce qui montre bien la mentalité des assail­lants”,explique Khalid Mahmood Mithu.


“Le Bangladesh est peut-être un pays pauvre et très petit, mais notre culture est riche”, ajoute Kanak Chapa Chakma. Pour elle, ce qui s’est produit à Ramu et aux alentours n’était pas un incident isolé, mais plutôt le résultat d’un long processus mêlant colère, envie et ­frustra­tion.“Je pense que c’est la conséquence des tensions et de l’instabilité politiques. Ces tensions nous privent de beaucoup de choses. Nos deux grands partis politiques, la Ligue Awami (BAL) et le Parti national du Bangladesh (BNP) ne s’entendent pas et ne cessent de s’accuser d’être à l’origine de tous les problèmes du pays au lieu d’essayer de travailler ensemble pour les résoudre. Je pense que ces attaques sont le fait de forces politiques et qu’elles n’étaient pas seulement des violences entre communautés. Pourquoi s’en prendrait-on subitement à un groupe de gens complètement inoffensifs ? J’ai l’impression qu’à mesure que le temps passe les gens sont de moins en moins tolérants et deviennent méfiants. Après cet incident, cette méfiance s’est transformée en véritable peur.”

“C’était assurément une attaque planifiée. La plupart des feux ont été allumés avec de la poudre qui laisse un résidu blanchâtre sur les vestiges carbonisés, explique Khalid Mahmood Mithu. J’ai vu des camions remplis de bidons d’essence et de kérosène en provenance d’autres districts. Tout cela était clairement prémédité. En tant que membre de la communauté bouddhiste, je remarque que, quand des professeurs de l’université de Dacca, la capitale, manifestent silencieusement et pacifiquement pour obtenir des hausses de salaire, la police les charge et essaie de les disperser. Par contre, à Ramu et ailleurs, les violences ont commencé dans la soirée et se sont poursuivies jusqu’à 2 heures du matin sans qu’un représentant de l’ordre, policier, pompier ou autre, vienne aider les bouddhistes. Personne n’a rien fait pour les arrêter et je trouve ça aussi étrange que suspect.”

Les liens avec les bouddhistes ne pourront être restaurés qu’après que nous aurons regagné leur confiance. Il est temps pour nous de retrouver un sens commun trop longtemps oublié et de faire preuve de décence en leur montrant que nous avons honte de ce qui leur est arrivé. Non seulement nous devons être unis et aider cette communauté à se rebâtir, mais nous devons aussi exprimer notre indignation afin que des crimes aussi odieux ne puissent plus jamais se reproduire.

Ramu Sada Chit Bihar. Photo: Mumit M

 

L’ARTICLE DU DAILY STAR

Laisser un commentaire