DECORTIQUAGES

Barak Obama : Un président dans la lignée des pères fondateurs des USA ?

SCIENCES HUMAINES

by  Justine Canonne

Dans un récent ouvrage, l’historien américain James T. Kloppenberg retrace les fondements philosophiques de la pensée politique de Barack Obama et n’hésite pas à placer ce dernier dans la lignée des pères fondateurs des Etats-Unis.

En 1994, Barack Obama rédige un livre autobiographique intitulé Dreams from My Father (Les rêves de mon père). Devenu sénateur de l’Illinois, il commet un autre ouvrage, The Audacity of Hope (L’audace d’espérer), en 2006. De ces deux publications, l’historien américain James T. Kloppenberg dit qu’il s’agit « [des] livres les plus substantiels écrits par un président américain élu depuis Woodrow Wilson ». Dans Reading Obama (1), J. T. Kloppenberg décrit ainsi l’actuel occupant de la Maison blanche comme un homme d’idées, dans la lignée de Thomas Jefferson et d’Abraham Lincoln.

Si B. Obama est souvent perçu comme un homme « neuf » dans le paysage politique national, il est en réalité, pour l’historien, « un produit du passé de l’Amérique », parfaitement au fait des idées philosophiques des pères fondateurs de la démocratie américaine. À l’appui de sa thèse, l’historien parcourt la jeunesse de B. Obama, en Indonésie, à Hawaï, ses premières lectures d’écrivains de la cause noire comme Ralph Ellison, Richard Wright ou William E. B DuBois, ses débuts en tant que community organizer à Chicago, puis son cursus à Harvard où il est le premier étudiant afro-américain à présider le comité éditorial de la prestigieuse Harvard Law Review. Ces expériences ont forgé sa pensée politique, façonnant sa conception de la Constitution américaine, de l’action politique, du rôle du citoyen dans la Cité…

J. T. Kloppenberg retrace ainsi trois mouvements de la pensée américaine qu’il juge déterminants dans l’itinéraire intellectuel du 44e président des Etats-Unis.

Un communautarien

Première influence de B. Obama : le communautarisme, tel qu’il est conçu aux Etats-Unis. Les communautariens américains postulent que l’individu n’existe pas indépendamment de ses appartenances culturelles, ethniques, sociales ou religieuses (2). Dans les années 1980, des philosophes anglo-saxons proches du mouvement communautarien ont voulu corriger la philosophie libérale de John Rawls, penseur célèbre pour sa Théorie de la justice. Michael Walzer a ainsi critiqué le caractère « abstrait » de la construction rawlsienne, qui cherche à réconcilier liberté et justice sociale : celle-ci, en postulant des sujets désincarnés, détachés de tout lien d’appartenance, éclipse la réalité effective d’un groupe humain (3). Pour les communautariens, l’individu s’inscrit donc dans une communauté, sociale, politique, historique, et il doit être nécessairement pensé comme tel.

Le communautarisme privilégie la vie en commun et la participation politique. Pour J. T. Kloppenberg, ce souci communautaire est une préoccupation récurrente chez B. Obama, depuis ses trois ans passés à travailler à Chicago comme community organizer, sorte d’ »animateur de quartier » chargé de faire émerger des revendications au sein d’un groupe de défense d’intérêts locaux (amélioration du cadre de vie, de l’accès à l’emploi pour certaines catégories, etc.) (4).

L’influence du pragmatisme

Autre trait saillant de la pensée du futur président américain : le pragmatisme. « Aucune loi n’est immuable, aucune bataille jamais véritablement achevée », écrit-il dans The Audacity of Hope. On retrouve cette idée dans la philosophie pragmatique américaine, pour laquelle « la Loi est un instrument pour l’action, et non la dépositaire de vérités éternelles », indique J. T. Kloppenberg. Les inspirateurs de ce courant, William James et John Dewey, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, sont ainsi très présents dans la pensée de plusieurs universitaires américains qui inspirent l’étudiant Obama.

À l’instar des pragmatiques, le président des États-Unis estime, poursuit J. T. Kloppenberg, que toute connaissance est provisoire et qu’aucune valeur ne peut prétendre à l’universalité. Les valeurs et les règles sont ainsi le fruit d’une délibération entre les citoyens dans l’esprit de B. Obama, influencé par quelques uns de ses mentors à l’Université d’Harvard.

Le président conciliateur

Dernier fondement de la pensée de B. Obama : l’attachement à la conciliation. Dès 2008, B. Obama s’est illustré par « le respect de ses opposants et sa volonté de compromis » souligne J. T. Kloppenberg. L’attachement à la conciliation est d’ailleurs, selon l’historien, la pierre angulaire de la pensée et l’action politique du président. À cet égard, deux de ses inspirateurs méritent d’être évoqués : F. Michelman et C. Sunstein, aujourd’hui en charge de l’OIRA (Office of Information and Regulatory Affairs) dans l’administration Obama. Les deux professeurs de Droit, inscrits dans la tradition pragmatique, soulignent l’aspect central de la délibération dans la démocratie américaine. Selon cette conception, la Constitution des Etats-Unis ne doit pas être lue comme un texte ayant vocation à défendre les seuls droits et intérêts des individus, mais comme un texte ayant pour but de promouvoir la délibération entre les citoyens. C’est à cette vision que souscrirait Obama qui, dès les années 1990, déplorait le délitement du lien social et la perte de contact des Américains avec la sphère publique, note J. T. Kloppenberg.

L’historien, toujours très dithyrambique à l’égard du président, insiste sur le fait que le goût de ce dernier pour la conciliation, qui lui est parfois reproché dans son action de dirigeant, ne relève pas de la « faiblesse » : c’est le signe de « sa compréhension de l’histoire, de la pensée, de la culture et de la politique américaines ».

Notes :

(1) James T. Kloppenberg, Reading Obama, Dreams, Hope, and the American Political Tradition, Princeton University Press, 2011.
(2) Voir Catherine Halpern, « Communautarisme, une notion équivoque », Sciences Humaines, mensuel n°148, avril 2004.
(3) Sur la pensée de John Rawls, et ses critiques (celle des communautariens et de l’économiste Amartya Sen notamment), voir Jacques Lecomte, « John Rawls », Sciences Humaines, mensuel n° 83, mai 1998, et Catherine Halpern, « Rawls. En quête d’équité », Sciences Humaines, hors-série spécial n°9, mai-juin 2009.
(4) Sur l’expérience de community organizer de Barack Obama de 1985 à 1988, voir cet article paru en 2008 dans le magazine américain National Review, consultable sur :http://www.nationalreview.com/articles/225564/what-did-obama-do-community-organizer/byron-york?page=1

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