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Anas Jaballah : Pour une reconquête industrielle par les territoires

LE MONDE

Par Anas Jaballah, ingénieur des Mines ParisTech

credit histoire.ontheway

 

L’annonce par PSA le 12 juillet dernier de fermer son site de 3 000 salariés à Aulnay est une nouvelle illustration d’un affaiblissement de notre industrie qui a perdu plus de 500 000 emplois entre 2000 et 2010 et près de 5 points de contribution au PIB national. Le président de la République lui-même a exprimé sur la scène médiatique son refus d’accepter cette nouvelle déconvenue industrielle, quitte à l’imputer aux dirigeants de PSA. Pourtant, en rappelant que la filièreautomobile a bénéficié de multiples aides publiques, le ministre du redressement productif Arnaud Montebourg n’a fait que souligner l’inefficacité de notre politiqueindustrielle qui a maintenu sous perfusion des filières industrielles malades et vieillissantes au lieu de les aider à préparer l’avenir. En effet, le ralentissement de la demande française en véhicules thermiques s’annonce durable pour des raisons démographique, économique et environnementale. Aussi n’est-il pas étonnant que PSA se retrouve aujourd’hui fragilisé faute d’avoir su anticiper cette évolution.

Quant à l’action publique, elle n’a fait que prolonger une illusion en distribuant des primes à la casse et des prêts répétés au moment où l’argent public se fait rare et d’autant plus précieux. Face à ce constat impitoyable, il convient de ne pas ajouterdes tensions stériles entre syndicats, représentants politiques et dirigeants d’entreprises. Au contraire, nous devons nous inspirer des stratégies territoriales qui ont permis de réussir certains projets d’implantations industrielles en France.

En 2001, le choix de Toyota d’implanter une de ses usines à Valenciennes a permis de créer plus de 4 000 emplois directs et a offert aux sous-traitants locaux de nouveaux débouchés sur un territoire où le chômage frôlait 25% dans les années 1990 contre 14% en 2010. Actuellement, l’usine produit 1 000 véhicules par jour à destination du marché européen, dont 25% d’hybrides. Renforcé par cet ancrage en Europe, Toyota a annoncé que l’usine valenciennoise produirait bientôt 25 000 véhicules supplémentaires par an à destination de l’Amérique du Nord. Au-delà de la réussite industrielle, cet épisode a permis aux élus locaux de dépasser leurs clivages politiques pour se mettre au service de leur territoire. En s’appuyant sur cette dynamique et la manne financière qui en a résulté, les élus locaux – Jean-Louis Borloo en tête – ont donné l’impulsion nécessaire à la création d’une technopole consacrée aux secteurs d’avenir que sont le numérique et lestransports innovants.

Plus récemment, Amazon, le géant américain spécialisé dans la vente en ligne de produits culturels a choisi d’implanter son troisième centre français de distribution à Chalon-sur-Saône en Saône-et-Loire, fief de l’actuel ministre du redressement productif. Là encore, l’action des élus locaux a été déterminante, en particulier pour valoriser les atouts d’un territoire situé à proximité d’un nœud autoroutier et ferroviaire et riche d’une main d’œuvre qualifiée et disponible. Cinq ans après la fermeture d’une usine Kodak et la suppression de 3000 emplois, près de 1000 emplois directs devraient ainsi être créés.

Ces exemples de succès nous montrent que malgré le défaitisme ambiant, la France dispose encore de sérieux atouts pour attirer les investissements industriels, parmi lesquels une main d’œuvre qualifiée, un réseau d’infrastructures dense et performant (transport, télécommunications, énergie) ou encore une centralité géographique dans la zone euro.

Second enseignement, un marché intérieur dynamique s’avère déterminant pour le maintien d’une entreprise dans un pays. Toyota a en effet choisi d’utiliser son usine française pour produire des véhicules hybrides pour lesquels la demande est forte sur le marché européen. De même, Amazon s’appuie sur un secteur due-commerce en forte croissance dans notre pays. La demande intérieure confère ainsi une stabilité aux entreprises qui produisent en France et leur donne les moyens d’investir et d’innover avant d’exporter.

Enfin, les deux exemples que nous avons observés démontrent que les élus locaux ont le pouvoir de changer le destin industriel de leurs territoires et qu’une action publique efficace associe nécessairement les collectivités territoriales.

A l’heure où l’on s’interroge sur la capacité d’intervention de l’Etat en matière économique et industrielle, le gouvernement pourrait prendre l’initiative d’organiserune grande conférence du redressement productif qui réunirait Etat, collectivités locales et syndicats de salariés et du patronat. Cette conférence serait l’occasion de définir les grandes orientations d’une politique industrielle et le cadre législatif adéquat pour sa mise en œuvre. Réunissant les compétences économiques, la taille critique et l’ancrage local, les régions pourraient se voir attribuer la responsabilité d’élaborer des Plans productifs territoriaux à l’instar des Schémas régionaux institués par les lois Grenelle dans le domaine environnemental. Ceux-ci résulteraient d’une concertation avec les collectivités territoriales et les instances régionales des syndicats de salariés et du patronat et de certains organismes publics tels que les Chambres de Commerce et d’Industrie, la Caisse des Dépôts et Consignations, OSEO ou encore Pôle Emploi.

Ces plans deviendraient ainsi l’outil privilégié pour partager l’expertise de chacun et identifier les atouts et faiblesses d’un territoire dans le but de définir des axes stratégiques en phase avec les orientations générales qui auront été fixées au niveau national. Les acteurs économiques de la région se trouveraient alors rassemblés derrière un projet collectif pour lequel des aides publiques spécifiques pourraient être imaginées. Ces aides pourraient provenir d’une meilleure allocation des aides publiques nationales existantes afin de bénéficier davantage aux PME, à la modernisation des infrastructures, à la formation, à l’enseignement supérieuret à la recherche. Une telle redistribution permettrait d’accorder des financements publics à des projets et à des acteurs économiques qui ont du mal à financer leurs investissements tout en bénéficiant de manière indirecte aux grands groupes dont l’écosystème se trouverait enrichi.

Cette reconquête industrielle par les territoires ne réglera pas tous les problèmes car certains d’entre eux nécessitent de profondes réformes législatives, des concertations avec nos partenaires européens, voire des négociations internationales. En revanche, la mobilisation des acteurs économiques locaux est une étape incontournable dans le redressement productif promis par le nouveau gouvernement et dépend uniquement de la volonté de nos représentants nationaux de dépasser leurs clivages dans l’intérêt du pays et de son avenirindustriel.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/27/pour-une-reconquete-industrielle-par-les-territoires_1738673_3232.html

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